La bataille de Iéna est plus souvent connue que la bataille d’Auerstedt car orchestrée par Napoléon. Qu’en est-il vraiment ? Est- à tord ou à raison de préférer Iéna à Auerstedt? C’est ce que nous allons voir.
Petite étude tactique et analyse comparative des deux grandes batailles napoléoniennes.
« Nous avions vu partir l’armée dans toute sa fierté et sa gloire. C’est comme si la terre l’avait englouti et maintenant nous voyons entrer à sa place dans la ville l’ennemi haï et méprisé ». Ces mots sont prononcé par un berlinois, Monsieur Varnhagen, au soir du 19 octobre 1806. Ce jour là, malgré un appel au calme de la part du gouverneur de Berlin, la population panique et, craignant l’arrivée des Français, de nombreux nobles quittent précipitamment la ville. Même si dans les faits Napoléon n’entre qu’à Berlin le 25 octobre, l’incertitude, voire la panique, sont bien présent dans la capitale prussienne. Il faut dire que les nouvelles du front sont plutôt mauvaises : on annonce que l’armée royale a du battre en retraite, qu’elle a perdu une bataille, que ses pertes sont inconnues mais importantes. En fait, l’armée du roi Frédéric-Guillaume III, roi de Prusse depuis 1797, n’a pas perdu une simple bataille, elle en a perdu deux. Pire, elle a perdu la guerre en l’espace d’une journée. Le 14 octobre 1806, la Prusse subit deux défaites majeures contre la Grande Armée, à Iéna et à Auerstedt. Ces deux défaites créent une déroute, qui va mener Napoléon directement à Berlin tout en faisant prisonniers la majorité des survivants de ces deux batailles, bien que quelques corps d’armées réussissent à rejoindre les Russes de l’autre côté de l’Oder. C’est une humiliation, similaire à celle connue par les Français à Rossbach durant la Guerre de Sept Ans. L’armée prussienne ne s’en remet pas, et doit entamer des réformes en profondeur sous l’impulsion de Scharnhorst et de Gneisenau tout en imitant le corps d’armée napoléonien. C’est cette nouvelle armée, qui aidée par les autres puissances européennes, va battre les Français en 1813 durant la Befrieungskrieg, qui se termine à Leipzig et la « bataille des Nations ».
En France, on se souvient davantage de la victoire d’Iéna que de celle d’Auerstedt. Pourtant ce sont bien les deux qui contribuent à la victoire sur la Prusse. Iéna, c’est l’expression du talent militaire de l’Empereur, qui est présent sur le champ de bataille durant toute la durée de l’affrontement. Auerstedt symbolise quand à elle la plus belle victoire de Davout, considéré comme l’un des meilleurs hommes de la Grande Armée. Il est pourtant plus fait mention de la bataille d’Iéna que de la victoire de Davout. Dans le hors-série de Guerres et Histoire n4 Les 45 batailles de Napoléon, on accorde trois pages entières la bataille de Iéna, et seulement quelques lignes à Auerstedt. Dans le livre Napoléon, la révolution impériale, on fait uniquement mention de « la victoire d’Auerstedt ». Pourquoi Iéna occupe-t-elle une plus grande place dans notre mémoire qu’Auerstedt ? Est-ce vraiment méritée ? Quelle est l’importance militaire d’Auerstedt dans les plans de Napoléon et ses conséquences sur la campagne de Prusse ?
Dans un premier temps, nous étudierons le déroulement de la bataille d’Iéna, une des plus belles victoires de l’Empereur. Dans un second temps, nous analyserons la place de la bataille d’Auerstedt. Enfin, à ces analyses tactiques succèdera une remise en question de la place de ses affrontements dans notre mémoire collective.
Iéna et Auerstedt, remise en contexte.
Revenons quelques jours avant le 14 octobre. Le 8 octobre, Napoléon commence la campagne de Prusse en pénétrant en Saxe. Son but est de détruire en une grande bataille (l’affrontement décisif) l’ensemble de l’armée prussienne avant que les Russes n’interviennent. Les forces prussiennes se montent à environ 150 000 hommes environ, gonflées par 50 000 autres en cours de mobilisations qui n’auront pas le temps de rejoindre le front. Napoléon dispose de la Grande Armée, au repos depuis décembre 1805, soit 160 000 hommes répartis le long du Rhin. Les effectifs sont donc numériquement à peu près égaux. L’armée prussienne, commandée par le duc de Brunswick, le même qui a écrit le manifeste de 1792, possède d’indéniable qualités : elle est motivée, relativement nombreuse puisque son effectif représente à lui-seul les trois-quarts des forces coalisées engagées contre Napoléon en 1805. Ses recrues sont également jeunes, bien équipées et prêtes à défendre le pays. Cette armée souffre de nombreux défauts. La conduite des troupes n’a pas changée depuis Frédérique II, y compris au sien du commandement. Les généraux sont âgés, Brunswick a 71 ans, ils ignorent tout du corps d’armée et se querellent entre eux. Ils n’ont pas l’énergie ni le charisme d’un Ney ou d’un Lannes.
Les unités, n’ayant pas combattus depuis les guerres révolutionnaires il y a plus de dix ans, n’ont pas l’expérience et le mordant des troupes napoléoniennes. Elles ne peuvent combattre en autonomie et s’éloigner des lignes d’approvisionnement, d’où l’intérêt des Prussiens de conserver un lien avec Berlin et les routes de l’est, là où se situent les dépôts et où doit venir tôt ou tard les forces du tsar Alexandre I. Celui-ci, allié des Prussiens, souhaite prendre sa revanche sur Austerlitz et décide de masser 85 000 hommes le long du Niémen, qui doivent rejoindre la Prusse pour lui prêter main-forte.
La Grande Armée, celle qui devait envahir l’Angleterre un an plus tôt, possède quand à elle des cadres solides et fiables, dont la fidélité et la ténacité n’est plus à prouver, ainsi que de nombreux soldats expérimentés, vétérans d’Italie pour les plus vieux et de 1805 pour les plus jeunes. L’armée est dirigée par Napoléon, mais elle se divise en corps indépendants qui peuvent agir en autonomie sous la conduite des maréchaux, contrairement à l’armée prussienne où Brunswick donne ses ordres aux généraux de l’état-major, qui eux même donne leur ordre aux commandant des différentes unités de l’armée etc.
Les ordres sont donc moins clairs et prennent plus de temps à arriver, alors que dans la Grande Armée, Napoléon doit juste se concerter avec ses maréchaux et autres chefs de corps. La coordination des unités française est donc supérieure à celle des Prussiens, c’est d’ailleurs la meilleur au monde à cette époque. Cet atout va peser beaucoup lors des évènements suivants.
Après les combats préliminaires, d’ailleurs victorieux, de Schleiz et Saafeld le 9 et 10 octobre, Napoléon se trouve sur le flanc gauche de l’armée prussienne. Celle-ci pour, éviter d’être coupée de Berlin et donc de ses approvisionnement, est forcé d’affronter les Français. Le but de Napoléon est simple : encercler l’ensemble des forces prussiennes, surtout que l’ensemble des 150 000 hommes est regroupé autour de Weimar, avant l’arrivée des Russes. Il envoi alors Davout et son IIIe corps pour barrer la route de Leipzig, et arriver sur les arrières des Prussiens par le nord-est. Ceci est purement de la théorie, la réalité se passe différemment. En fait l’armée prussienne est encore en déplacement quand Davout arrive devant Auerstedt, si bien qu’il tombe sur la majeure partie de l’armée prussienne. Pourquoi avoir envoyé Davout, et pas un autre maréchal comme Soult ou Augereau ? Le IIIe corps n’est pas la meilleure formation de la Grande Armée, mais c’est une unité fiable. Elle n’a pas participée aux combats de Schleiz et de Saafeld, contrairement au Ie corps de Bernadotte et au Ve corps de Lannes, son potentiel est donc intact. De plus, Napoléon a toute confiance en Davout.
Le « Maréchal de fer » a fait preuve d’intelligence et de ténacité lors de la campagne d’Egypte et à Austerlitz. Il est habile, et parfaitement capable de faire face à des forces nombreuses. On lui demande pas de réaliser un exploit à Auerstedt, jusque-là impensable, mais simplement contourner les forces adverses pour les encercler et, si nécessaire, tenir jusqu’à l’arriver des renforts. Seulement, les deux adversaires se trompent tous deux sur les dispositions des armées. Les Prussiens, croyant que l’Empereur veut les couper de Berlin, se retournent et partent de Weimar vers l’Est, et le gros de leur forces est intercepté par Davout à Auerstedt. Napoléon croit avoir fixé à Iéna le gros des forces ennemies, ce qui explique pourquoi il mobilise la majeure partie de ses hommes, quasiment tout ce qui lui reste depuis le départ de Davout (Ier corps excepté). En fait, il combat grosso-modo l’arrière-garde prussienne, envoyé par Brunswick pour couvrir son flanc gauche.
Partie I : Iéna, une bataille de rencontre devenue mythique.
Nous sommes le matin du 14 octobre 1806 sur le champ de bataille d’Iéna, situé à une trentaine de kilomètres au sud d’Auerstedt. Entre sept heures et huit heures, les troupes des deux camps opposés se préparent à l’affrontement. Aucune reconnaissance n’est possible, un brouillard matinal très opaque couvre l’ensemble du champ de bataille, si bien qu’au dernier moment aucun des deux adversaires ne sait vraiment quelles forces il a en face de lui. Ils ont cependant envie d’en découdre rapidement, la gloire motivant l’esprit des soldats français et la haine ceux des prussiens. Surtout l’avantage numérique est indéniablement du côté de l’Empereur. A Iéna, Napoléon mobilise quatre corps d’armée (Soult, Lannes et Augereau, et Ney, les trois derniers étant incomplets) plus la garde impérial, soit plus de 80 000 hommes au total.
Cette masse d’hommes met cependant du temps à s’organiser et à venir, si bien que seuls entre 55 et 60 000 hommes participent réellement à la bataille. C’est donc le gros de l’armée qui est envoyé à Iéna. En face, les Prussiens dispose de 42 000 soldats. L’artillerie est à peu prés équilibrée de part et d’autre : 180 canons français et 200 côtés prussiens. Le rapport en termes de soldat est donc de 1,1 en faveur de l’Empereur et augmente au fur et à mesure de l’arrivée des renforts. La présence de l’Empereur sur le champ de bataille est également un facteur important, capable de donner de l’allant aux soldats et source d’un moral tout à fait positif. Le terrain est légèrement vallonné, la ville d’Iéna est dominée par des collines boisées de Langrafenberg. Deux villages (Isserstdt et Vierzehnheiligen) ainsi que quelques hameaux entourés de champs constituent l’essentiel du champ de bataille. Les Prussiens sont disposés sur le plateau d’Iéna, qu’ils jugent imprenable.
Le prince Frédéric-Louis de Hohenlohe commande les forces prussiennes. Il n’est pas un mauvais meneur d’hommes, mais commet d’emblée plusieurs erreurs tactiques. Son refus d’occuper les hauteurs de Langrafenberg va lui coûter cher. Durant la bataille, l’artillerie française a une vue sur l’ensemble du champ de bataille, et ses tirs vont ravager les rangs prussiens toute la journée. Lannes est le premier à ouvrir le bal vers huit heures, mais il attaque en infériorité numérique. Autre erreur importante, plutôt que de contre-attaquer, le prince subit et tente simplement de conserver ses positions alors qu’il a durant les premières heures de la bataille l’avantage numérique. La coordination prussienne est défectueuse entre les unités, voire inexistante entre les généraux. Par exemple, le prince ne cherche pas à prendre des nouvelles du général Holtzendorf, qui couvre son flan droit. Or celui-ci subit l’enfer dès neuf heures, lorsque le IVe corps de Soult envoie à l’assaut sa division fétiche, la fameuse Saint-Hilaire qui se distinguera par la suite à Eylau.
Sans renfort, incapable de recevoir des nouvelles du prince, situé à dix kilomètres de lui, voyant que le corps de Soult est trop fort, il se rempli vers 11h30. Il n’y a plus d’aile droite prussienne. Le centre résiste bien tout au long de la matinée, les villages sont l’objet de violents combats, mais les contre-attaques prussiennes locales sont brisées par le feu français. Idem pour le flanc gauche, pourtant bien défendue par la cavalerie prussienne. Les renforts français, attendus par Napoléon arrivent à partir de 12h, et les Prussiens, affaiblis par les pertes, doivent évacuer leurs positions. Les soldats tombent de part et d’autres, mais cela est plus durement ressenti par les Prussiens devenus largement inférieurs numériquement aux Français.
En laissant le plateau aux Français, la pression devient de plus en plus insupportable. Lorsque les corps de Lannes et de Ney sont au complet et attaquent, le centre s’effondre. Le prince Hohenlohe, démoralisé et choqué par la puissance des attaques françaises, ne tente aucune action pour couvrir la retraite, les unités se débandent. A 18 heures, tout est fini. Iéna est prise une heure plus tard. De nombreux soldats sont tués ou capturés par la cavalerie française, lancée à leur poursuite. Les pertes prussiennes sont importantes : 12 000 tués ou blessés, 15 000 prisonniers, 200 canons et 30 drapeaux capturés. Napoléon perd à peu près entre 7 et 8 000 hommes tués ou blessés, l’essentiel de ses pertes ayant été subies face au centre adverse. La victoire tactique est complète, l’arrière garde prussienne est en fuite et Murat peut se lancer à la poursuite de l’ennemi.
Pendant ce temps, à une trentaine de kilomètres plus au nord…
Partie II : Auerstedt : la plus belle victoire de Davout.
Le IIIe corps de Davout se compose des unités suivantes : une avant-garde composée d’unités légères, servant à la reconnaissance ou à la poursuite, de trois divisions d’infanterie (Morand, Friant et Gudin), un corps d’artillerie et une division de cavalerie légère. Au total, il y a, en théorie, 24 à 25 000 hommes, plus 1400 cavaliers et une quarantaine de canons. Les divisions comportent chacune quatre régiments d’infanterie et un d’artillerie. Elles sont expérimentées et se connaissent bien, elles ont toutes participées à la campagne de 1805.
Le corps s‘illustre notamment à Austerlitz, bien qu’il met considérablement du temps à se déployer. Le corps d’armée possède son propre train d’artillerie et de munition, et ne dépend que de son maréchal, il peut donc combattre en toute autonomie même si il est isolé des autres corps. Davout a néanmoins affaire au gros de l’armée prussienne, qui déploie devant lui 66 000 hommes, dix fois plus de cavaliers et plus de deux cent canons. Le rapport de force est de 2,5 contre 1, ce qui constitue un inconvénient majeur pour Davout, sans parler de l’artillerie ennemie bien plus nombreuse. Sachant qu’il ne peut compter immédiatement que sur ses propres forces, il décide immédiatement de placer la division Gudin sur le plateau de Hassenausen, qui domine la plaine d’Auerstedt, afin de lui offrir une position facile à tenir en cas d’attaque. Comme à Iéna, le terrain d’affrontement se compose de champs, de quelques villages et de bois.
En face, depuis son QG situé à Auerstedt, Brunswick pense avoir affaire au gros de l’armée française mais, constatant que l’ennemi déploie à l’instant des troupes inférieures en nombre, il décide de passer à l’attaque le premier, vers 7 heures. Au fur et à mesure que le brouillard se dissipe, Davout aperçoit la masse de l’armée prussienne face à lui, et ordonne à la division Gudin de n’entamer aucune action offensive. Le flanc droit prussien, dirigé par le général Blücher engage les premiers combats sérieux. Ce dernier, impatient d’en découdre et sous-estimant la ténacité des Français, envoi directement sa cavalerie. Celle-ci se fait repousser par les carrés de la division. Les pertes prussiennes sont lourdes, mais remplaçables vu l’effectif disponible. Brunswick envoie donc des renforts, et pour éviter que ses lignes cèdent, Davout mobilise la division Friant. La coordination est rapide et efficace, alors que celle des Prussiens est minime. Le champ de bataille est certes plus petit que celui d’Iéna, mais les généraux prussiens pensant d’abord à leur gloire personnelle et, estimant percer à eux seuls les lignes françaises, multiplient les charges. L’artillerie française, bien placée dans les hauteurs, vient en aide aux régiments en difficulté et fauche l’infanterie prussienne. Vers 10h30, alors qu’il commande le centre prussien, Brunswick est atteint par une balle, qui traverse l’oreille gauche et lui déchire le visage, il est donc évacué. Déjà très âgé, il ne s’en remettra pas et meurt de cette blessure le 10 novembre 1806. L’armée prussienne perd son commandant en chef, ce qui commence à peser sur le moral. Pire, personne ne sait qui doit diriger les opérations, l’état-major est dispersé et chaque général à une vision plus ou moins partielle de la bataille, ne se préoccupant que des unités ennemies qu’il a en face de lui. L’aile gauche prussienne perd son temps à tenter de contourner les hauteurs, alors qu’elle aurait pu venir en aide au centre qui n’arrive pas à percer. En face, si le IIIe corps ne perd pas ses positions, sa situation est difficile. Davout est obligé d’engager la division Morand face à l’aile gauche prussienne pour éviter d’être débordé. Il n’a plus de réserve d’infanterie intacte. Il n’hésite donc pas à utiliser les régiments de la division Friant, en meilleur état, pour aider là ou les Prussiens risquent de percer. Cette coordination, associée à des bonnes positions défensives et à un bon moral, brise tous les assauts prussiens pendant trois heures. En face, les pertes sont de plus en plus lourdes et le moral diminue, les généraux prussiens ne savent pas comment déloger les Français. Ils décident donc, malgré de nombreuses réserves disponibles, de passer sur la défensive. Davout, saisissant ce moment de faiblesse, en profite pour attaquer vigoureusement le centre ennemi. C’est un pari risqué, car ses hommes commencent à être épuisés, son artillerie commence à manquer de munition et des milliers de soldats prussiens n’ont pas encore été engagés. Une contre-attaque prussienne peut à tout moment stopper l’offensive française et compromettre le plan de Davout. Elle n’arrivera pas. Le centre subit l’attaque française et des unités cèdent, puis retraitent. L’aile droite, pensant que le centre est détruit, retraite également. La cavalerie prussienne, toujours plus nombreuse que son homologue française mais dont le moral est largement entamé suite aux échecs de la veille, ne couvrent pas les soldats et retraite elle-aussi. Le corps de réserve prussien n’est même pas engagé. Le roi Frédéric-Guillaume III, qui a assisté à la bataille, pense que des renforts français ne vont pas tarder à arriver, et que l’engager signifie à moyen terme sa destruction. Or, cette décision transforme la retraite en débandade totale, aucune unité ne couvrant alors les arrières de l’armée. Les blessés sont laissés sur place, tout comme les drapeaux et les pièces d’artillerie.
Il est alors 14h30 passé. Des points de résistances éparses comme le village de Poppel au centre tiennent mais, bientôt isolés, ils sont encerclés puis détruits. Toutes les forces de Davout sont engagées, cavalerie comprise. A 16h, la bataille est terminée. Depuis les hauteurs, Davout observe les Prussiens quitter le champ de bataille et Auerstedt. Il ne peut les poursuivre, mais cela ne change rien à la situation. Les pertes prussiennes sont terribles, voire excessives vu la prestation d’une armée pourtant largement supérieure en nombre. 10 000 Prussiens ont été tués ou blessés, 5 000 autres faits prisonniers, la moitié des canons ont été perdus. Les pertes du IIIe corps sont également lourdes. Davout a perdu entre 5 000 et 7000 hommes tués ou blessés, soit un quart de ses effectifs. La division Gudin, la première à avoir été engagée, a subit la pression de l’aile droite puis celle du centre prussien tout au long de la bataille.
Elle comptabilise à elle seule la moitié des pertes totales. Plusieurs dizaines d’officiers ont été tués ou blessés, les hommes sont globalement tous épuisés. Mais la victoire est là, le futur « duc d’Auerstedt » entre dans l’histoire pour toujours en ayant battu, sans le savoir, le gros de l’armée prussienne.
Partie III : La gloire d’Iéna diminue l’exploit d’Auerstedt.
Ces deux défaites simultanées précipitent la fin de l’armée prussienne. Les nouvelles du front, quand elles arrivent à destination, sont toutes mauvaises. Les fuyards d’Iéna, poursuivis par Murat, rejoignent ceux d’Auerstedt, causant une panique sans nom. En 24 heures, l’armée prussienne perd 42 000 soldats tués, blessés ou fait prisonniers. Elle perd donc presque un tiers de son effectif de départ (150 000 hommes mobilisés à la date du 14 octobre) sans compter les milliers de déserteurs et de malades qui vont s’ajouter lors de la poursuite. Des milliers d’autres sont perdus lorsque les garnisons des villes se rendent, sachant qu’une vingtaine de villes/forteresses se rendent dans les deux semaines suivant le 14 octobre. L’armée prussienne, devenu l’une des meilleures du monde après la Guerre de Sept Ans, n’est plus.
50 000 soldats environ parviennent à rejoindre les Russes, mais ils ne peuvent empêcher Napoléon d’arriver à Berlin. Au regard de la performance de Davout, vainqueur à 1 contre 2,5 ; il est légitime de penser que son exploit est sans pareil dans la campagne de Prusse. Alors que Napoléon peut enfoncer comme il le souhait les Prussiens, aidé au fur et à mesure de l’arrivée de ses renforts, Davout doit mobiliser l’ensemble de ses unités, les plus intactes devant aider celles qui risquent de céder. Si un point de la ligne avait cédé et été correctement exploité par les Prussiens, Davout aurait eu le plus grand mal à contre-attaquer sans risquer de briser sa cohésion. Surtout que le Ier corps de Bernadotte, situé plus au sud et n’ayant pas participé à Iéna, n’a pas chercher à le rejoindre pour l’aider. Indéniablement, les Prussiens ont commis de graves erreurs tactiques qui ont aidés à la victoire. A Iéna, les Prussiens laissent d’emblées des hauteurs à l’artillerie française, annulant l’avantage qu’apporte le plateau d’Iéna. A Auerstedt, la coordination est pitoyable si bien que Brunswick n’a jamais réussit à engager l’ensemble de ses forces disponibles, annulant son avantage numérique.
Tactiquement parlant, Auerstedt fut plus dur à livrer qu’Iéna. Davout n’a aucun soutient à sa disposition. Hormis une partie de sa cavalerie, la quasi-totalité de ses unités est engagée avant midi. Il doit sans cesse avoir une vu d’ensemble du champ de bataille, mais aussi au plus petit niveau tactique afin de voir quels points de sa ligne sont les plus susceptibles de céder, et donc agir en conséquence. Les pertes qu’il subit font plus mal que celles qu’il inflige, ce qui est normal étant donné son infériorité numérique, mais préjudiciable à long terme. Ses stocks de munitions partent également vite, la 2e division d’artillerie tire les deux-tiers de ses boulets en une après-midi. La perte de duc de Brunswick porte certes un coup moral à l’armée prussienne, mais l’engagement du corps de réserve ou bien une meilleure estimation des positions de Davout aurait pu changer le déroulement de la bataille côté prussien. Pourquoi alors le combat d’Iéna, qui n’engage que l’arrière-garde prussienne, est-il plus célèbre qu’Auerstedt ? Plusieurs hypothèses existent.
La première, c’est la présence de Napoléon sur le champ de bataille. Depuis qu’il est à la tête de l’Empire, et notamment depuis Austerlitz, l’Empereur jouit d’une gloire et d’une popularité grandissante. Si les deux batailles ont fait l’objet de gravure, la bataille d’Iéna a quant à elle fait l’objet de tableaux. Le plus connu est probablement celui d’Horace Vernet, La Bataille d’Iéna, 14 octobre 1806, peint en 1836 pour y figurer dans la Galerie des bataille au château de Versailles, qui rassemble 33 des plus grandes batailles de l’historie de France. Il y a bien Austerlitz, Rivoli, Friedland, Wagram, mais pas Auerstedt. Ainsi, si Napoléon aurait été aux côté de Davout, peut-être que l’histoire aurait jugé différemment cette victoire. Elle l’aurait montrée, au même titre qu’Iéna, comme un chef d’œuvre de l’Empereur, une vcitoire éclatante parfaite pour la propagande. La popularité et le génie militaire de Napoléon surpasse celui de ses maréchaux, y compris celui d’un Davout.
Ensuite, Iéna paraît d’emblée plus importante : elle mobilise plus de 100 000 soldats, on la présente comme un duel entre Napoléon et l’ensemble de l’armée de Prusse. Peut-être également qu’Auerstedt a été volontairement oubliée par la mémoire prussienne au profit de Iéna, la défaite face de l’ogre corse devenant un prétexte de vengeance et un support pour le nationalisme allemand.
Conclusion, la belle victoire de Iéna, l’énorme exploit d’Auerstedt
De fait, nous pouvons dire qu’Iéna et Auerstedt sont deux affrontements sensiblement différents. A la suite d’une méprise mutuelle, les deux adversaires se trompent sur les formations qu’ils affrontent. Napoléon met le paquet alors qu’il a affaire à l’arrière garde prussienne, tandis que Brunswick pense avoir affaire au gros de l’armée française. Davout a donc la malchance d’affronter des forces qui sont sur le papier bien plus imposantes que son corps, forces qui le surclasse dans toutes les catégories sauf dans l’organisation tactique. En jouant sur la flexibilité des unités, puis en ayant un « coup d’œil » remarquable au moment de lancer son offensive, Davout transforme une potentielle défaite en une victoire éclatante, un quasi sans-faute. L’Empereur se comporte également bien à Iéna, mais étant donné qu’il a l’avantage numérique avec ses quatre corps (sans parler de l’artillerie et de la Garde impériale) et que le prince Hohenlohe ne tente, au mieux, que des contre-attaques locales, il a bien plus de cartes à jouer que le « Maréchal de fer ».
De fait, la palme de la difficulté, et donc le titre de l’exploit, revient sans doute à Davout. Surtout que ce dernier souffre indéniablement plus que l’Empereur à Auerstedt. La Grande Armée perd 12% de forces engagées à Iéna, alors que le IIIe corps en perd à lui seul 25%. Si Davout aurait perdu à Auerstedt, cela n’aurait pas remis en cause Iéna mais cela aurait ajouté une difficulté majeure dans le plan de Napoléon. Il se serait alors retrouvé à affronter le gros de l’armée prussienne, directement après Iéna, tout en ayant perdu une de ses meilleurs unités, mais ne faisons pas de what if. Napoléon a combattu et a vaincu le 14 octobre contre une Prusse téméraire et ayant soif de gloire. C’est cela que l’histoire retient, plus en tout cas que le combat de seul IIIe corps, aussi extraordinaire soit-il.
Iéna devient le leitmotiv d’une vengeance, un outil pour souder les Etats germains entre eux contre la France. Lors de la proclamation de l’empire allemand dans la Galerie des Glaces le 18 janvier 1871, Bismarck aurait dit :
Après coup, il est vrai que le plus beau fait d’arme de Davout ne représente qu’une part de la glorieuse époque napoléonienne. Iéna et Auerstedt sont limite indissociables, car ce sont les conséquences additionnées de ces deux victoires qui provoquent la fin rapide de l’armée prussienne, rendant au final le triomphe de la France encore plus brillant et glorieux aux yeux des Européens et des Français. Dans ces conditions, est-il vraiment nécessaire de savoir laquelle des deux batailles a été la plus importante, pourvu qu’on arrive à Berlin ?