<style>.lazy{display:none}</style>La bataille d’Eylau, la première grande boucherie impériale.

La bataille d’Eylau, la première grande boucherie impériale.

Cuirassiers 1er empire

Remise en contexte : la campagne de Pologne

La campagne de Pologne de 1806-1807 constitue une des plus difficiles livrées par Napoléon. Elle contraste avec la glorieuse campagne de 1805, soldée par la tout aussi glorieuse bataille d’Austerlitz qui a été décisive. Elle n’a également rien à voir avec la campagne de Prusse de 1806, si courte et en même temps si bien menée par la Grande Armée. Non, Eylau sera bien éloignée des éclatantes Iéna et Auerstedt. Donnons un peu de contexte. Napoléon affronte la quatrième coalition, composée des Etats suivants : Angleterre, Russie, Prusse et Suède. Fin 1806, la Prusse est hors-jeu après le double désastre du 14 octobre, et ce ne sont pas ses quelques 30 000 hommes qui ont fuis vers l’Oder qui inquiètent Napoléon, surtout que plus de la moitié d’entre eux doivent garder les villes encore prussiennes.

La Suède oppose une tout aussi faible armée, tandis que l’Angleterre n’ose pas risquer de faire débarquer un corps expéditionnaire directement au cœur de l’Europe. Le véritable adversaire de l’Empire, c’est la Russie du Tsar Alexandre Ier. Celle-ci souhaite prendre sa revanche après la défaite d’Austerlitz, et fait traverses à ses troupes le Niémen le 3 novembre 1806. Les troupes  russes sont dirigées par le comte Levin August von Bennigsen. Née en 1745 en Saxe, il a fait allégeance à la Russie en 1773 pour échapper à la misère. Il participe à plusieurs guerres au cours du XVIIIe siècle, comme la guerre de Sept Ans ou la guerre russo-polonaise de 1794. Il possède donc une bonne expérience militaire, et sait diriger des masses d’hommes au combat. Cependant il a plusieurs défauts. D’une part, il surestime à de nombreuses reprises les forces françaises, au point de fuir le combat après quelques escarmouches. D’autre part, il remet souvent ses fautes sur ses subordonnées, accusant un tel d’avoir mal exécuté un ordre voire en réécrivant à son avantage la réalité des faits dans ses mémoires. Cependant, Bennigsen est indéniablement un bon général russe, capable d’apprendre de ses erreurs et de modifier rapidement ses plans de bataille. Il sait à quel point la Grande Armée est forte.

Il sait  qu’elle est capable comme à Austerlitz de vaincre de façon magistrale, sans se soucier de l’importance des forces adverses. Sa tactique au début de la campagne de Pologne est donc assez simple : affaiblir indirectement la Grande Armée pour l’affronter et la battre quand le moment sera venu. De fait, Bennigsen va pratiquer une politique de la terre brûlée, la même qui sera appliquée à plus grande échelle en 1812 par Barclay de Tolly, un des subordonnés de Bennigsen. Cette stratégique, associée à des raids de cosaques sur les voies de communications françaises, est plutôt efficace. Napoléon perd du temps et des hommes devant Pultusk, ses lignes de logistiques s’étirent et le nombre de soldats malades augmente. Bennigsen lui continue de fuir. Il n’est réduit à l’affrontement que pour éviter la prise de Königsberg, ville importante pour le ravitaillement de ses troupes et ayant assez de prestige pour ne pas l’abandonner sans combat la garnison prussienne (la Prusse ne lui aurait sans doute pas pardonné si il l’aurait fait). Il décide donc d’arrêter sa fuite vers l’est autour du village d’Eylau (nommé en réalité Preussich-Eylau mais bon on va simplifier le nom). 

La Grande Armée qui arrive a Eylau est forte, mais plus faible qu’en octobre 1806.  Bennigsen ne cesse de se dérober depuis son évacuation de Varsovie en décembre, et Napoléon n’a également de cesse de le poursuivre pour le vaincre. Il mobilise pour cela la cavalerie de Murat, le IVe corps de Soult, le IIIe corps de Davout, le VIIe corps d’Augereau, le Ier corps de Bernadotte et le Ve corps de Lannes, qui ne seront pas à Eylau. La Grande Armée compte enfin 12 500 soldats venants de divers Etats allemands (Hesse, Bavière, Wurtemberg…), mais ils ne participent pas à Eylau. Ce sont donc des forces considérables. Depuis novembre, les longues marches forcés dans la boue et la neige ont épuisés ses hommes et ses chevaux, d’autant plus que la bataille de Pultusk (26 décembre 1806) a coûté assez chère aux Français : 4 000 soldats hors de combat, un sixième de l’effectif engagé. Surtout, l’armée russe a réussit à fuir à la barbe de l’Empereur. Napoléon, conscient que la poursuite épuise ses forces, ordonne à la Grande Armée de prendre ses quartiers d’hivers pour se reposer.

C’est sans compter Bennigsen, qui  lance une offensive fin janvier 1807. Celle-ci est repoussée à la bataille de Mohrungen le 25 janvier, et Napoléon reprend alors la poursuite. Cependant, sa pause tactique a duré moins d’un mois, ce qui est insuffisant pour permettre aux soldats et à la cavalerie de récupérer complètement. Pire, la logistique peine à suivre, de nombreux régiment n’ont pas assez à boire et à manger, et la santé globale de la Grande Armée n’est pas à son meilleur niveau. Napoléon veut sa bataille décisive, il désire finir au plus vite la campagne de Pologne afin de permettre à sa Grande Armée de quitter ces terres froides et enneigées, qu’elle traverse depuis des mois et dont les soldats commencent à en avoir assez. De son côté, Bennigsen, si il veut éviter la disgrâce, n’a pas d’autre choix que de livrer bataille. Reculer encore serait livrer Königsberg et permettre à la Grande Armée de se rapprocher comme jamais du Niémen. Cela serait trahir la Sainte Russie et son allié prussien. Les dés sont jetés, le spectacle peut commencer. 

Les forces qui s’opposent sont les suivantes : 45 000 soldats français (plus les 30 000 hommes des corps de Ney et de Davout qui arrivent en renfort le 8 février), contre 60 000 Russes aidé par un corps prussien commandé par L’Estocq. Le corps de Lannes, qui à combattu  à Pultusk, ne participe pas à Eylau, tout comme celui de Bernadotte. Napoléon dispose au 8 février de 300 canons, contre 400 environ côté russe. On a donc l’avantage numérique pour Bennigsen, d’autant plus que c’est lui qui choisit le terrain. Le village d’Eylau est une petite localité entouré de crêtes, lui-même étant d’ailleurs sur une colline appartenant à une « ligne de crête ». Il y en a trois au total, qui compartimente le champ de bataille. Eylau est alors investi par les Russes. Il comporte une grande église, une douzaine de maisons, des fermes et un cimetière. Le clocher permet d’avoir une vue d’ensemble sur les environs, et est donc un bon observatoire pour l’artillerie. Le village prussien est également proche de Königsberg, et si le combat tourne mal, Bennigsen peut se replier rapidement sur cette ville située à moins de 50 kilomètres Le général russe est déterminé à livrer bataille. Celle-ci commence le 7 février 1807. Les Prussiens de L’Estocq étant poursuivis par Ney à plus de 35 km d’Eylau, tous deux ne sont pas prêts d’arriver. 

Bataille d’Eylau 7 février 1807 :

Le temps est froid et couvert, le sol est enneigé. Hormis les crêtes, le terrain est plat. Cette plaine est propice aux grandes manœuvres et à la cavalerie, à conditions de bien savoir l’utiliser. Le 7 février, les cavaliers de Murat arrivent sur le champ de bataille, suivit par l’avant-garde du IVe corps de Soult. Ils poursuivent les Russes, plus précisément l’arrière-garde commandée par le général Bagration. Il décide alors de s’arrêter devant le village, afin de permettre au reste de l’armée russe de s’organiser, et surtout pour permettre à Bennigsen d’installer ses batteries de canons sur les crêtes. Le combat commence au début de l’après-midi. Bennigsen déploie la division de Markov devant Eylau sur la première ligne de crête, dont les tirailleurs visent les cavaliers français. Ce sont les premières victimes de la bataille. A sa gauche, Soult envoi le 18e régiment de ligne attaquer les batteries russes positionnés sur la première ligne de crête, mais la première attaque est repoussée dans le sang par les dragons de Saint-Pétersbourg.

Le régiment n’ayant pas eu le temps de former le carré, il doit se replier avec de lourdes pertes. Cependant, la position de Markov était précaire, et lorsque Soult repart à l’attaque soutenu par la cavalerie de Murat, il doit évacuer la position. Aussitôt, Soult engage plus de forces pour prendre d’assaut le village sans perdre de temps. Le village est contrôlé par les forces de Barclay de Tolly, mais elles ne sont pas assez nombreuses. N’ayant pas d’artillerie et craignant l’encerclement, Barclay de Tolly abandonne Eylau. Ces manouvres n’entament pas suffisamment la progression française pour l’arrêter. En revanche, elles permettent à Bennigsen de gagner du temps pour parfaire son dispositif. Ayant installé son centre et une grande partie de son artillerie à 900 mètres à l’est du village sur la troisième ligne de crêtes, il souhaite le reprendre immédiatement afin de ne pas laisser les Français consolider leur positions. Eylau est effet situé en hauteur, donc dominant les alentours, mais offre également des abris aux soldats qui le contrôle. Barclay de Tolly lance alors une contre-attaque, aidé par les forces de Somov envoyé en renfort par Bennigsen.

Nous somme alors en début de soirée. Les combats sont acharnés, les pertes russes sont lourdes car ils doivent montrer la colline sous le feu français tout en pataugeant dans la boue. Ils parviennent néanmoins à atteindre l’église et le cimetière adjacent. On combat alors au corps-à-corps, à l’aide de crosses et de baïonnettes. Au fur et à mesure, le cimetière se transforme en fosse commune, mêlant cadavres français et russes. Barclay de Tolly est blessé par une balle dans le bras et doit être évacué. Soult tient bon jusqu’à l’arrivée de Napoléon et des renforts. Il arrive peu à peu avant 22h. Il était temps, car les Russes étaient parvenu au centre du village, menaçants d’encercler l’église et le cimetière. Vers 22h, Bennigsen ordonne la retraite et établit sa première ligne de défense entre Eylau et la dernière ligne de crête. Il avait certes perdu plus d’un millier de soldats pour presque rien, car le village n’a pas été repris. Or, vu qu’il était situé au centre du champ de bataille et en hauteur, Eylau incarne un objectif majeur, que chacun des deux camps convoite.

Néanmoins, Bennigsen voulait préserver tout le potentiel de ses forces pour l’affrontement de demain, celui qui promet d’être dur et qui couvrirait de gloire le vainqueur. En face, Napoléon a expédié immédiatement des renforts dés son arrivé à Soult pour conserver le village, bien que ce dernier comme à être en ruine. Même si Soult s’épuisait lors de combats acharnés pour garder le village, il estime que cela en valait la peine car il forme un obstacle défensif remarquable, autour duquel le centre de Napoléon va s’articuler. Lui aussi anticipe la dure bataille qui se profile. La nuit du 7 au 8 février est calme, les soldats prennent du repos avant le « grand choc ». Le combat du village d’Eylau n’était en réalité qu’un avant-goût. Le 8 février promet d’être, à ne pas en douter, un jour de sang et de larmes.

Bataille d’Eylau, 8 février 1807 :

Le 8 février 1807, les deux camps achèvent leurs dispositifs avant la fin de matinée. Bennigsen est prêt. Son front s’étend sur une longueur de 5 000 mètres et sur une largeur de 4 500 mètres, à environ un kilomètre d’Eylau. Entre 65 000 et 70 000 Russes sont présents, dont sept divisons d’infanterie. L’infanterie est massée au centre, en rang serrés. La cavalerie légère et lourde (composée en grande partie de cosaques) couvre les deux ailes avec un peu d’infanterie, notamment celle de Markov à gauche. Surtout, sachant que les attaques de la Grande Armée sont vigoureuses (l’exemple d’Iéna l’a bien souligné), Bennigsen a séparé son artillerie en trois grande batteries.

La première était composée de 60 canons dont 40 de gros calibres, elle couvre le flanc gauche. La seconde compte 70 pièces, c’est la plus importante. Celle qui garde le flanc droit compte également une quarantaine de pièces. C’est donc une formidable artillerie, capable de briser net tout assaut frontal. En fait, Bennigsen s’attend à une attaque française en force française au centre, ce qui fait qu’il a massé l’essentiel de ses forces devant Eylau. Ses flancs sont moins importants, il y a peu d’infanterie disponible à ces endroits là. Surtout, son flanc gauche est situé sur une plaine. Il peut être facile tourné, contrairement au flanc droit qui donne sur des marécages. Enfin, la 4e division de Somov est gardée en réserve, tout comme la 14e de Kamensky ainsi que 28 escadrons de cavaliers. C’est donc une réserve tactique importante. 

En face, Napoléon a parfaitement saisit cette faiblesse, c’est là qu’il doit attaquer. Depuis son QG situé dans le village d’Eylau, il échafaude le plan suivant : tenir le centre tout en massant ses meilleurs éléments (IIIe et VI corps) sur les ailes adverses pour les faire plier. Le IV corps de Soult couvre le flanc droit, la Garde et la cavalerie de Murat forme une réserve au centre, derrière le VIIe corps d’Augereau. A gauche, quelques unités de cavalerie détachées du VI corps. Le IIIe corps de Davout, qui n’est pas encore arrivé sur le champ de bataille (il est à 15 km d’Eylau lorsque les festivités commencent) doit attaquer le faible flanc gauche russe et le percer. Le VIe corps de Ney (lui aussi est en retard) doit lui tourner le flanc droit en arrivant derrière les marécages.

De fait, Napoléon veut encercler son adversaire pour éviter d’avoir à combattre directement son centre. La décision doit venir de ses ailes. Etant donné qu’il a moins de 45 000 hommes (51 000 pour les sources les plus hautes) à sa disposition, Napoléon doit éparpiller ses hommes. Sa ligne de bataille est donc moins dense que celle de Bennigsen. Surtout, l’Empereur sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur : il tient enfin sa bataille décisive. S’il agit mal, il prend le risque que l’armée russe se dérobe à nouveau, ce qui serait un véritable camouflet. En face, Bennigsen est prêt à recevoir le choc, confiant dans son artillerie et dans son dispositif. 

Vers 8 heures du matin, une terrible canonnade commence. Bennigsen, voyant depuis son QG (situé à deux km d’Eylau) le centre français masser ses forces, tire à vu sur les positions ennemies. La batterie droite, puis la batterie du centre, tirent sur le village d’Eylau. Les maisons sont trouées par les boulets et s’écroulent, lorsqu’elles ne prennent pas feu. Depuis le clocher du village, les Français peinent à apercevoir le dispositif adverse, tant la fumée des canons est dense. La cavalerie légère française attaque le flanc gauche, mais est repoussée par les canons. Rien ne se passe de concret sur le flanc gauche durant la matinée, aucun des deux camps n’emporte l’avantage.

A 9 heures, Napoléon dispose enfin du corps de Davout et le lance à l’assaut du flanc gauche russe. Il est aidé par la division Saint-Hilaire, du VIe corps. Cette brave unité, qui s’est déjà illustré par son efficacité à Iéna, repousse toutes les attaques de cavalerie russes et facilite la progression de Davout. Prévoyant, Napoléon sait que Bennigsen risque d’envoyer des renforts depuis son centre. Il décide donc de l’attaquer simultanément. Il envoi le VIIe corps à l’assaut vers 10 heures. Mais rien ne va se passer comme prévu. Une terrible tempête de neige se déclenche brusquement.

Les deux divisons du corps ne savent pas où elles progressent, ni où se situe l’adversaire. Lorsque l’intensité de la tempête diminue, c’est trop tard. Augereau fonce droit sur la batterie du centre de Bennigsen. Ce dernier fait parler les 70 pièces de la batterie. Le VII corps du « fier brigand » subit en quelques minutes des pertes épouvantables. Des centaines d’hommes sont fauchés par les boulets, tandis que les dragons de Saint-Pétersbourg chargent et sabrent les fuyards. Seules quelques unités résistent. Parmi elles, une a réussit à garder un semblant de cohésion : le 14e régiment de ligne. Il  réussit à former un carré, repoussant en infériorité numérique les assauts de la cavalerie. Il finit par décrocher. Son sacrifice a permit de retarder la progression russe et de décimer les dragons de Saint-Pétersbourg. Son exploit ainsi que celui de la jument Lisette qui a informé Napoléon de la situation du régiment, bravant la neige et les balles, entrent dans la légende napoléonienne. 

Toutefois, la déroute du VIIe corps est un revers micro-tactique grave. Les pertes françaises sont lourdes, le corps a perdu sa cohésion et le centre russe n’a pas été enfoncé. Pire, la déroute laisse un trou béant de 1 500 mètres dans le dispositif de Napoléon. Bennigsen, fière de ce succès et sachant qu’il ne peut laisser passer cette occasion, envoi infanterie et cavalerie à l’assaut.

Un bataillon de grenadiers, ayant suivit les fuyards de près, réussit à s’infiltre dans le cimetière, à quelques centaine de mètres que QG impérial. Napoléon n’ayant plus de réserve, il est obligé de faire intervenir son unité ultime : la Garde impériale. La Vielle Grade, la meilleure parmi les meilleures unités, s’interpose face aux Russes. Le général Dorsenne dit alors ces mots restés célèbres : 

« Grenadiers, l’arme au bras ! La Vielle Garde ne se bat qu’à la baïonnette ».

Le cimetière devient à nouveau le théâtre de violents corps-à-corps, et la Vielle Garde repousse l’ennemi. Cependant, l’ensemble du centre de Bennigsen arrive et menace d’encercler le village d’Eylau.

C’est alors que Napoléon glisser à Murat cette phrase : « Eh quoi, mon frère, nous laisseras-tu dévorer par ces gens-là ? ».  En d’autre termes cela veut dire : mon cher Murat, faites vous plaisir, sabrer autant de Russes qu’il vous plaira. Et c’est là que la fameuse charge des 80 escadrons arrive. Il est alors 11 heures environ, et Murat dispose à ce moment des forces suivantes : deux divisions de dragons (Grouchy et Klein), une division de cavalerie lourde (cuirassiers principalement) et la cavalerie de la Garde impériale (grenadiers à cheval et chasseur à cheval). Il y au total 80 escadrons, certains étant incomplets, soit environ 10 000 cavaliers, même si on peut voir d’autres chiffres dans divers livres. Napoléon mise beaucoup sur cette grande charge : si elle échoue, rien ne pourra s’opposer au centre russe et Napoléon n’aura plus de réserve de cavalerie. Les dragons de Grouchy repoussent les cavaliers adverses, laissant le soin aux cuirassiers de rompre les lignes russes.

La première ligne est percée, et les cavaliers français attaquent la grande batterie, sabrant les artilleurs russes. Des dizaines de canons sont encloués et sont hors d’usage. Les grenadiers à cheval de la Garde impériale se joignent à la curée. Le sol tremble et de nombreux soldats russes se débandent. La deuxième ligne, renforcée par les forces de Somov, arrive à briser l’élan de la charge. Malgré le choc, elle fusille les cuirassiers à bout portant, et engage un furieux combat avec les Grenadiers à cheval. Murat tente de regrouper ses cavaliers, mais cela devient vite compliqué. Les escadrons doivent faire demi-tour, sabrant à nouveau la première ligne russe et passant à nouveau devant les canons. D’autres sont encerclés par la deuxième ligne russe puis anéantis. Nombre de chevaux sont abattus durant la retraite.

A la suite de cet épisode, Bennigsen ne peut plus avancer vers Eylau. Ses unités d’infanterie, si elles n’ont pas subies des pertes immenses, sont désorganisées et doivent momentanément stopper toute progression pour retrouver leur cohésion. En face, Napoléon a joué un atout important, sa cavalerie, et a réussit sa manouvre. Mais désormais il sait que le potentiel de celle-ci est fortement diminué. Les chevaux survivants, au front depuis cinq mois, sont épuisés par ce combat, et la petite pause stratégique de janvier n’a pas suffit à leur faire récupérer suffisamment de forces. Surtout, le coût de la grande charge est élevé. De nombreuses unités de cavalerie ont été saignées en peu de temps. 3 000 cavaliers français sont hors de combat, prisonniers non inclus.

C’est presque un tiers de l’effectif de départ. Si Bennigsen décide de lancer une nouvelle offensive au centre, Napoléon n’aura d’autre choix que de faire intervenir la Grade impériale. Mais ce n’est pas sa priorité. Sur son flanc gauche, Davout et ses forces progresse, et ce n’est pas ses cosaques qui vont arrêter le IIIe corps. La batterie du flanc gauche tente bien d’aider les soldats à résister, mais sans succès. Bennigsen envoi ses escadrons de cavalerie de réserve contre Davout. C’est un échec sanglant, qui ralentit à peine la progression du « maréchal de fer ». Il expédie alors la 14e division de Kamensky. Un furieux combat s’engage, et pendant des heures aucun des deux camps n’arrive à vaincre.

La division Saint-Hilaire se bat avec acharnement contre les soldats russes venus en renfort. Au début de l’après-midi, Bennigsen a engagé la quasi totalité de ses forces, que ce soit au centre et sur son flanc gauche. Toutefois vers 16h, un évènement assez inattendu se produit : les 15 000 Prussiens de l’Estocq arrivent sur le champ de bataille. Ils ont réussit à échapper à la surveillance de Ney. Bennigsen, heureux, les expédie immédiatement sur son flanc gauche.  Davout ne peut plus progresser. Pire, en infériorité numérique, il est de plus en plus acculé à la retraite. Le IIIe corps, héroïque à Auerstedt, prouve encore une fois de plus sa valeur en tenant bon face aux assauts coalisés.

La situation de Napoléon commence à être délicate. Sans réserve de cavalerie intacte, refusant d’engager sa Garde au combat, son centre est dégarni. Davout tient bon le flanc gauche, mais pendant combien de temps ? Vers 18 heures, Ney et son VIe corps arrivent enfin sur le champ de bataille. Il attaque vers 19h le flanc droit russe, que Soult n’arrivait pas à percer jusque là. La résistance russe s’effondre, une dernière contre-attaque est repoussée par l’artillerie française. Bennigsen ordonne alors la retraite. C’est une décision judicieuse, car à court de munition et n’ayant plus de réserve, puisque tout a été expédié sur son flanc gauche, il n’aurait pas pu continuer le combat. De toute façon, Ney arrive trop tard et l’obscurité de la nuit aurait été plus que gênant si le combat aurait duré. Napoléon ne peut engager de poursuite, sa cavalerie est diminuer et ses hommes sont globalement tous épuisés. Le village d’Eylau est presque entièrement détruit. Les blessés affluent dans les fermes et les hôpitaux de campagne.

Ils meurent à même le sol, tant Larrey et ses confrères sont débordés. La nuit est glaciale, avec environ -10 degrés. De nombreux blessés agonisent sur champs de bataille. Ce n’est qu’à la lever du jour que l’on se rend réellement compte du carnage. La neige est rouge, des tas de cadavres s’amoncellent autour des anciens emplacements des batteries russes. Une odeur nauséabonde sort des carcasses des chevaux morts. Napoléon se déplace personnellement sur le champ de bataille avec ses officiers, comme on peut le voir dans le tableau de Gros. Il veut montrer à tous qu’il est bien le vainqueur, mais il veut aussi se rendre compte personnellement des pertes. Il reste marqué à vie par l’ampleur du massacre. Il écrit ainsi le 9 février à Joséphine cette phrase : » Ce spectacle est fait pour inspirer aux princes l’amour de la paix et l’horreur de la guerre ». Le 64e bulletin de la Grande Armée qualifie Eylau de « spectacle horrible ».

Oui, Napoléon avait poussé Bennigsen à la retraite, mais le coût est terrible. Plus de 5 000 soldats français ont été tués, dont 16 généraux. 15 000 autres ont été blessés. Le VIIe corps d’Augereau est anéanti : il ne compte plus que 3 000 soldats valides sur les 12 000 qui étaient présent le 8 février. De nombreux blessés français mourront de leurs blessures, faute de soins ou à cause du froid. Augereau, grièvement touché au bras, ne doit son salut qu’à l’intervention expresse de Larrey et à ses talents de chirurgiens. En face, Bennigsen a perdu près de 30 000 hommes. Parmi eux, 12 000 morts dont 9 généraux, ainsi que 4 000 prisonniers. Y sont inclut également 900 Prussiens morts ou blessés. De nombreux canons et blessés ont dû être abandonnés sur le champ de bataille.

La victoire semble française, mais elle ne sert à rien. Napoléon ne peut poursuivre son adversaire, et doit prendre ses quartiers d’hiver pour permettre de combler les pertes. Pire, il n’y a pas eu de victoire décisive, mais un match nul tactique. Aucun des deux camps n’a réellement emporté l’avantage sur l’autre. La Grande Armée, si éclatant et victorieuse les années précédentes, est saignée à blanc, incapable d’entreprendre un nouveau combat, tandis que Bennigsen a pu se replier sans être inquiété. Surtout, les soldats français prennent conscience que le Russe est un adversaire coriace, plus déterminé qu’il ne l’était en 1805. Après Eylau, un dicton apparaît au sein de la Grande Armée : « Il ne suffit pas de tuer un Russe, il faut encore le pousser pour qu’il tombe ». Ce dicton va se vérifier de la plus belle des manières quatre ans plus tard dans un affrontement devenu presque épique : la bataille de la Moskova…