Livrée pendant une des périodes les plus difficile de l’histoire française, loin de la métropole et avec les moyens du bord, la bataille de Koh Chang les 16-17 janvier 1941 est la seule bataille navale 100% française de la guerre et est une victoire magistrale malgré les moyens qui n’aura finalement que peu d’impact dans les implacables rouages du deuxième conflit mondial.
Une colonie vulnérable
Introduction / Contexte à la bataille de Koh Chang
Après le terrible été 1940 qui a vu la capitulation française qui après de violents combats et une résistance désespérée qui couteront cher aux allemands à défaut de les stopper, la France est en grande difficulté et ses colonies se retrouvent dans des situations très compliquées. Si certaines serviront de bases pour la France Libre ou seront saisies par les britanniques, l’Indochine semble presque préservée. Coupée de tout, elle sera considérée comme vichyste par son choix d’une politique défensive. En effet, disposant de peu de moyens et subissant d’importantes tensions avec les voisins chinois, japonais ou thaïlandais, elle se replie dans un fonctionnement presque comme avant, suivant la métropole avec laquelle elle n’a déjà plus beaucoup d’interactions.
Ces rapides négociations après le coup de main, ajoutée à la défaite de la métropole réveille les velléités guerrières d’un pays voisin, la Thaïlande, qui se mets à rêver elle aussi de victoire contre les français. A cette époque, le pays est gouverné par un militaire souhaitant défendre les intérêts de tous les peuples thaïs, et à toujours à l’esprit les territoires qu’il a perdu au début du siècle face aux français. Ainsi malgré la négociation d’un pacte de non-agression en juin 1940, peu avant la déroute, le mois d’octobre voit une multiplication d’incidents frontaliers qui escaladent rapidement en un conflit concret.
Partie 1 : La mer comme seul espoir.
Les Thaïlandais sachant que le Japon n’interviendra pas malgré leur présence dans la colonie, envoient leurs troupes à l’assaut des protectorats cambodgien et laotien en janvier 1941. Le rapport de force montre clairement la différence de préparation entre la nation souveraine thaïlandaise bien équipée et souhaitant faire valoir ses vues dans la région et la garnison coloniale ayant d’ordinaire comme seul objectif d’assurer l’ordre et une première défense le temps que la métropole réagisse. Ainsi, si les deux armées alignent environ 60 000 hommes, beaucoup des bataillons français sont composés de locaux et servent surtout à assurer une souveraineté française tandis que les divisions thaïlandaise sont organisées pour la guerre moderne, bien motorisée et équipée en canons Krupp et Bofor modernes. Elles sont de plus entrainées pour l’offensive.
La différence de forces est réellement visible pour les armements lourds : si les forces blindées thaïlandaises utilisent surtout des chars FT17 (de la première guerre mondiale), elles en ont 134 face au 20 du même type des français. Pour l’aviation, les français possèdent une centaine d’appareils dont 60 de combats et surtout des modèles dépassés datant des années 20-30 tandis que les thaïlandais ont fait l’acquisition de nombreux avions japonais et peu donc aligner près de 200 avions de combat au maximum, dont plusieurs datant de la fin des années 30. Enfin, la marine française très hétéroclite est composée de vieux bâtiments et fait face à une trentaine d’unités plus récentes, dont deux garde-côtes cuirassés de construction japonais, (armés de quatre canons de calibre 203 mm), neuf torpilleurs de construction italienne (pourvus de six tubes lance-torpilles de 533 mm) et quatre sous-marins côtiers (livrés en 1938 par le Japon).
Les combats terrestres sont très violents et malgré la résistance française, les thaïlandais mieux équipés occupent rapidement le Laos tandis qu’au Cambodge, le 16 janvier, une contre-attaque française du 5e régiment d’infanterie stoppe un moment la progression dans des affrontements qui seront les plus sanglants de la guerre. Si elle ne parvient pas à repousser les thaïlandais, ces derniers ne parviennent en revanche pas à reprendre leur avance, leurs blindés étant stoppés par les canons antichar français. Si l’aviation tricolore effectue quelques raids sur la Thaïlande sans causer beaucoup de dégâts, l’amiral Decoux, gouverneur général de la colonie indochinoise, reconnaitra que les aviateurs thaïlandais pilotent avec autant de talents que des vétérans de plusieurs campagnes. La situation terrestre étant très critiques et les bombardements thaïlandais aussi précis qu’impunis, les forces françaises décident de tenter le tout pour le tout et de débloquer la situation sur le dernier champ de bataille ou les thaïlandais n’ont pas encore l’avantage : la mer.
Partie 2 : La Bataille de Koh Chang, une victoire totale française
Après l’échec de la contre-offensive française le 16, une première reconnaissance aérienne est effectuée autour de la baie de Bangkok tandis que les navires tricolores prennent la mer dans le golfe de Thaïlande. L’aventure s’annonce risquée, les côtes siamoises (nom de la Thaïlande à l’époque) sont peu connues et donc les risques de s’échouer sont accrus, de plus outre le nombre de vaisseau et l’âge de ses derniers, la flottille française est également inférieure en tonnage (16 600 contre 12 500) et en membre d’équipage (2300 contre 950). Autour du croiseur Lamotte-Picquet, ravitaillé le 15, les français regroupent deux paires d’avisos (navire léger d’escorte ou de maintien de l’ordre colonial), le capitaine de vaisseau Régis Bérenger commandant le croiseur est chargé de mener la mission.
Un hydravion français repère donc le 16 la flotte adverse composée de deux garde-côte cuirassé, dix torpilleurs, un aviso, un mouilleur de mines et deux sous-marins ; cette dernière est au mouillage répartie entre la base de Koh Chang et celle de Satahib (pointe Est de la baie de Bangkok), ne soupçonnant pas le mouvement français. L’appareil parvient même à semer la chasse dont les mitrailleuses se sont enrayées et à rentrer sain et sauf. Le 17 janvier, les vigies de la base navale de l’île de Koh Chang repère les fumées de la flotte française et donne l’alerte. Mais la flottille venue d’Indochine a habilement pris position bloquant les thaïlandais dans leur port, les empêchant de profiter correctement de la multitude d’ilots entourant la base pour se protéger. Néanmoins une première surprise attends le CV Bérenger, depuis la reconnaissance de la veille, l’ennemi a bougé et il y a maintenant à Koh Chang deux cuirassés siamois (et trois torpilleurs) au lieu d’un!
De plus, les conditions météo font que la flotte française se découpe nettement sur l’horizon dégagé alors que les vaisseaux adverses sont dissimulés dans la grisaille matinale, se confondant avec la terre. Ainsi les torpilleurs thaïlandais, alertés, ouvrent le feu à 6h14, les avisos français ripostent immédiatement alors que 12,5 kilomètres les séparent encore.
La première salve ayant mis KO un des torpilleurs, le déluge de feu français s’abat de 6h25 à 6h35 sur le deuxième torpilleur à avoir tiré. Si les navires modernes encaissent un moment, ils finissent par chavirer et/ou exploser sous le feu concentré des avisos français s’étant rapprochés entre 5 et 8 km. Les torpilles elles viennent s’écraser sur le cuirassé Sri Ayuthia qui est contraint de s’échouer pour ne pas couler.
Laissant les avisos achever les torpilleurs dans la rade, le Lamotte-Picquet se repositionne pour reprendre le feu sur le mouillage. A 6h38 alors que les torpilleurs agonisent sous la pression des avisos français, le croiseur de Bérenger repère le Dombhuri, garde côte cuirassé qui fait route vers le nord-est et la Thaïlande, le combat s’engage et est compliqué : le navire siamois manœuvre habilement entre les îles ; grâce à sa grande vitesse de changement de cap il complique la visée des artilleurs français. Qui plus est les hélices françaises tournent dans la vase et le gênent avec en plus le risque de se coincer dans un bas fond de moins de 10m par endroit. A regret, le chef de l’expédition abandonne la poursuite et se rapproche de sa flotille restée vers l’ouest. Le Dombhuri, lui est en proie à plusieurs incendies mais fait maintenant route vers le Sud pour menacer le repli français. Mauvais choix à posteriori car à chaque passage entre deux ilots dans la mire du croiseur, il est pilonné sans pitié. A 7h15, les avisos rejoignent la curée et ajoute leur feu. Pendant un quart d’heure, le brave navire siamois est écrasé par les 75 à tir rapides français, trois incendies au moins le dévorent, il ne tire plus qu’avec sa tourelle avant, manifestement maniée à bras après la destruction de sa motorisation et seulement quand les mouvements du bâtiment la mettent en direction. Il est gîté sur tribord avec son château en feu et son arrière est enfoncé, l’avant relevé. A l’agonie, il se réfugie en eaux peu profondes ou les français ne peuvent le suivre… L’heure du repli a d’ailleurs sonnée pour ces derniers car l’arrivée du support aérien thaï se fait de plus en plus imminente et certaine après près de 2h de combats.
Partie 3 : Aviation et conséquence du combat
A 8h30, toute la flottille française a déjà pris le large, voguant plein ouest, perpendiculairement à la côte pour s’éloigner de tout poursuivant. Le groupe navigue resserré, à portée visuelle les uns des autres, limitant le risque d’être repéré. A 8h58 un biplan thaï dissimulé par le soleil fonce sur le Lamotte-Picquet et parvient à larguer deux bombes qui traversent le milieu et l’arrière du travers bâbord, un deuxième avion rate de près de 200m. Si des éclats seront retrouvés dans le flanc du croiseur, il s’agit probablement d’obus anti aérien tirés par les torpilleurs thaïlandais dans les premiers instants confus du raid. De 9h à 9h40, l’aviation thaïe arrive toujours plus nombreuse, seul ou en duos, échouant à bombarder ou tentant de prendre des trajectoires d’attaques avec le soleil, tournant à 3000m au-dessus des marins français. A chaque approche la DCA embarquée riposte avec vigueur décourageant les plus hardis des siamois, qui se interrompe leurs piquets et sont même parfois contraint de larguer beaucoup trop tôt pour esquiver le feu français.
Ainsi, la poignée de navires français parviennent tous à rallier Saigon sans plus de dégâts.
Si le Siam n’annonce qu’une trentaine de morts, les estimations les plus acceptés des historiens parle de près de 300 pertes pour un tiers à bord des torpilleurs qui ont explosés. Seuls 82 survivants seront repêchés dans la rade. Il est également vraisemblable que plusieurs observateurs japonais étaient présent et ont pu périr. Côté français, on est proche du miracle, il n’y a que quelques dégâts et blessés légers et aucun morts : même l’aviation redoutée n’a rien pu faire.
Mais comment cet exploit a-t-il pu réussir, sachant que l’effet de surprise à échoué, les thaï ayant eu le premier feu. Et bien tout d’abord le capitaine de vaisseau Bérenger a conduit la bataille en grand stratège, dans le temps très limité et stressant des affrontements, il donne des ordres simples et lucides, s’adaptant aux mouvements des cibles thaïes. De plus les matelots français sont certes à bord de navires obsolètes par rapport à la guerre maritime métropolitaine, leur entrainement, lui, ne l’est pas. Les marins tricolores sont motivés, combatifs et manient efficacement un matériel vieillissant, aux limites de ses capacités.
Enfin, comme dans tout combat il y a un facteur chance, à Koh Chang, ce dernier se manifeste sous la forme d’un fortuné dégât collatéral. Une des premières salves du Lamotte-Picquet rate en effet les torpilleurs mais vient détruire un poste de guetteur à terre qui était relié par téléphone à la base aérienne voisine, empêchant l’aviation d’être prévenue avant la fin de l’affrontement. Leur intervention plus tôt aurait pu grandement compliquer la mission des français. Plus tard, dès le début du duel avec le Dombhuri un coup chanceux frappe la passerelle tuant le commandant et l’officier de manœuvre, ainsi bien que le garde côte encaisse bien, il est décapité pendant l’essentiel du combat. De même, la veille de l’attaque, l’intégralité des deux groupes de combats (1 garde côte et 3 torpilleurs chacun) se trouvaient dans la rade de la base alors que lors de l’assaut, seule le groupe Sri Ayuthia est dans la rade, le Dombhuri lui étant déjà en route pour le golfe de Bangkok quand il se fera attrapé sans son groupe par les français. Les thaïs n’ont donc pas leur avantage numérique en plus de leur avantage matériel.
La Bataille de Koh Chang, conclusion et postérité
Malheureusement, cette victoire magnifique célébrée dans l’empire et en France métropolitaine, qui redonne un peu de fierté après la terrible défaite de 1940 n’aura pas de lendemain… Quelques jours plus tard, le Japon impérial, puissance écrasante de la région décide de mettre fin au conflit en proposant ces « bons offices aux deux belligérants » en tant qu’intermédiaire. Cet ultimatum auquel l’Indochine ne peut faire face, force l’amiral Decoux a arrêter les frais dans cette guerre qui reste au désavantage des français. Une ultime bataille aérienne au-dessus de Siem Reap le 24 janvier inflige de lourdes pertes aux français qui signe finalement le 28 un armistice avantageant grandement le Siam : la colonie perds 97 600 km² de territoires et plus d’un demi-million d’habitants pris sur des provinces laotiennes et cambodgiennes.
Cette cession de territoires forcée par la main japonaise n’est pas apprécié par les Etats Unis qui vont mettre le Japon sous embargo pétrolier. Ce qui constituera un des facteurs amenant à Pearl Harbor, bien que le choc du Pacifique soit déjà inévitable en raison des choix politiques expansionnistes nippons. La victoire de Koh Chang sombrera lentement dans l’oubli, occultée par le désastre de 1940 et l’embrasement mondial des années suivantes. De plus les marins français ayant servis de facto sous le drapeau de Vichy, ils ne seront jamais mis en avant après-guerre par la France qui condamnera en bloc tout ce qui n’était pas la France Libre.
Les français d’Indochine feront partis des oubliés de l’Histoire, vichystes par défaut car vivant depuis 1940 à l’ombre des Japonais, ils subiront une terrible agression en 1945 lorsque les nippons frappent de l’intérieur et s’emparent de toute la péninsule avec une rare violence, emprisonnant et exécutant nombre d’européens (civils inclus), et armant les rebellions locales. Libérés in extremis (vu le taux de mortalités des camps japonais), les français d’Indochine seront traités comme des collaborationnistes par le nouveau régime français et les troupes envoyées reprendre le contrôle. Ils seront donc écartés et leur connaissance de la région et des populations locales feront grandement défaut dans la guerre d’Indochine qui démarre…