Le « Conseil du roi » n’a pris figure de Compagnie régulière que longtemps après l’installation de la Chambre des Comptes au Palais de la Cité, et même après la transformation complète des parlements en Parlement.
L’Administration locale
Les fonctionnaires du roi et les commissaires de la cour dans les provinces
Dans les provinces du Domaine royal, il y avait des fonctionnaires royaux, installés à poste fixe. En outre, dans la France entière, la cour du roi envoyait continuellement des délégués, chargés de missions spéciales.
Délimitons d’abord le terrain. Qu’est-ce que le Domaine royal a gagné et perdu entre 1226 et 1328? Comment était-il divisé ?
Le Domaine royal s’accrut en 1229 de l’ancienne Septimanie (duché de Narbonne), enlevée au comte de Toulouse, par le traité de Paris ; en 1234, d’une partie de l’héritage de Philippe Hurepel (Domfront), et du comté de Mâcon, acheté à la dernière comtesse ; en 1258, du reste de l’héritage d’Hurepel (comtés de Clermont et de Mortain) ; en 42 %, de l’héritage d’Alfonse de Poitiers (comté de Poitiers et terre d’Auvergne, comté de Toulouse et dépendances) ; en 1284, de celui de Pierre d’Alençon, fils de saint Louis (comtés d’Alençon et du Perche). Philippe le Bel annexa le comté de Champagne, par son mariage avec Jeanne, héritière de Champagne et de Navarre ; le comté de Chartres, acheté en 1286 à la comtesse de Blois ; la seigneurie de Beaugency (1291) ; le comté de Bigorre (1292) ; les domaines de la maison de Lusignan (Lusignan, comtés de la Marche et d’Angoulême), confisqués sur le comte Guiard en 1308 ; Lille, Douai et Orchies, en vertu du traité d’Athis (1305) ; la vicomté de Soule, la châtellenie de Leucate, etc. Philippe le Long acquit de l’évêque de Tournai tous ses droits sur cette ville.
Plusieurs seigneuries ont passé, pendant cette période, du rang d’arrière-fiefs à celui de fiefs immédiats de la couronne. Le roi acquit ainsi la « mouvance » de plusieurs seigneuries languedociennes en 1229, des comtés de Blois, de Chartres, de Sancerre et de la vicomté de Châteaudun en 1272 ; du comté de Foix après la dernière révolte de Raimond VII de Toulouse ; des comtés de Comminges, d’Armagnac, etc. Rappelons, à ce propos, que le royaume de France s’accrut, depuis la mort de saint Louis jusqu’à celle de Charles le Bel, d’un grand nombre de seigneuries qui relevaient auparavant de l’Empire.
Philippe le Bel reçut l’hommage du duc de Lorraine pour Neufchâteau, Châtenois et Montfort ; du comte de Bar pour Gondrecourt, Ligny, Bourmont et La Mothe.
Apanages
Mais la plupart des unions au Domaine royal étaient, au Moyen Âge, provisoires, parce que les rois constituaient continuellement – surtout aux dépens des récentes acquisitions du Domaine – des apanages aux puinés de leur maison. Les fils de Louis VIII ont été apanagés de l’Artois, de l’Anjou et du Maine, du Poitou et de l’Auvergne ; ceux de Louis IX, du Valois, d’Alençon et du Perche, du comté de Clermont-en-Beauvaisis. Philippe III recouvra, par le décès de ses frères et de son oncle Alfonse, tous ces apanages, sauf l’Artois, l’Anjou et le Maine et le comté de Clermont, mais il détacha de nouveau le Valois, Bethisi et Verberie pour les donner à son fils Charles.
Philippe le Bel attribua à Charles, déjà comte de Valois, les comtés d’Alençon, du Perche et de Chartres, et à Louis, son second frère, le comté d’Évreux, Beaumont-le-Roger, Meulan, Étampes, Dourdan, la Ferté-Alais, Gien, etc. Louis X augmenta du comté de Longueville, confisqué sur Enguerran de Marigny, les domaines de la maison d’Évreux ; Philippe le Long les augmenta des comtés d’Angoulême et de Mortain, qui furent constitués en dot à Jeanne de France, fille de Louis X, femme de Philippe d’Évreux, et des châtellenies de Mantes, Pacy, Anet, Nonancourt, etc., accordées à Louis d’Évreux en complément d’apanage.
Les apanages que Philippe le Long (comte de Poitou) et Charles le Bel (comte de la Marche) avaient reçus, ont fait retour au Domaine à leur avènement ; mais Charles le Bel disposa encore une fois de la Marche en 1323, en faveur du duc de Bourbon, petit-fils de saint Louis.
Circonscriptions administratives
On le voit, ce sont toujours les mêmes pays qui ont servi, de 1226 à 1328, de monnaie à apanages. Parmi les maisons de race royale qui ont été pourvues aux frais du Domaine, trois seulement ont duré : celles d’Artois, d’Évreux et de Valois. Cette dernière, qui s’était agrandie, par mariage, des domaines de la maison d’Anjou, parvint au trône après la mort du dernier des Capétiens directs.
La géographie administrative du domaine royal au XIVe siècle ne sera connue que lorsque tous les comptes domaniaux auront été méthodiquement dépouillés. On ne sait pas encore comment le nombre et les limites des circonscriptions se sont peu à peu précisés. On n’a présentement de nomenclature des « bailliages » et des « prévôtés », des « sénéchaussées » et des « bailies », etc., que pour les premières années du XIVe siècle.
À cette époque, la « France » proprement dite était divisée en neuf grandes circonscriptions ou « bailliages » : bailliage-prévôté de Paris, bailliages de Senlis, de Vermandois, d’Amiens, de Sens, d’Orléans, de Bourges, de Mâcon et de Tours. La Normandie comprenait cinq bailliages : Rouen, Caen, Cotentin, Caux et Gisors. Dans les pays du Midi, il n’y avait pas de baillis, mais des sénéchaux : les principaux officiers du roi dans les provinces cédées par Raimond de Toulouse en 1229, qui formèrent les deux circonscriptions de Beaucaire et de Carcassonne, avaient pris le titre de sénéchal, au lieu du titre de bailli, parce que, dans la langue de ces pays, le mot bailli (baïle) désignait les officiers inférieurs.
Les domaines d’Alfonse de Poitiers, administrés comme le domaine royal, étaient aussi divisés en sénéchaussées quand ils échurent à la couronne, en 1271 ; ils comprenaient, au commencement du XIVe siècle, les sénéchaussées de Poitou et de Limousin, de Saintonge, de Toulouse et d’Albigeois, de Rouergue, d’Auvergne, des montagnes d’Auvergne, de Périgord et de Quercy.
Les bailliages de la « France » proprement dite étaient divisés en prévôtés ; ceux de la Normandie en « vicomtés » ; les sénéchaussées du Midi en « vigueries », en « bailies », en jugeries, etc. Les baillis avaient été à l’origine des membres de la cour chargés de tenir, de temps en temps, en certains lieux, des assises au nom du roi. Mais ils s’étaient transformés en fonctionnaires qui, chacun dans une circonscription déterminée, dirigeaient tous les services, sous l’autorité de la cour du roi, à la fois officiers de justice, de police, de finances et de guerre.
L’installation à demeure des baillis dans les bailliages était un fait accompli à l’avènement de Louis IX. Le bailli (ou le sénéchal) représentait le roi dans sa circonscription. Sa compétence peut donc être définie d’un mot : elle était universelle. Fonctionnaire politique et administrateur, il recevait les ordonnances, les mandements, les ajournements et les arrêts de la cour du roi : il les publiait ; il les notifiait ; il en délivrait des expéditions sous le scel du bailliage, il en assurait l’exécution.
Officier de police, il défendait les droits du roi ; il faisait respecter l’ordre établi et la paix publique ; il prenait des arrêtés. Officier de justice, il tenait des assises où les causes relatives aux fiefs et aux droits féodaux, les différends entre les vassaux directs du roi, les cas royaux d’infraction à la paix et de port d’armes, etc., étaient portés en première instance ; la cour du bailli ou du sénéchal (curia domini regis) était aussi un tribunal d’appel qui révisait les sentences prononcées par les fonctionnaires royaux de second ordre et par les justices seigneuriales ou consulaires.
Officier de finances, il était comptable des amendes et des forfaitures prononcées par sa cour, préposé en chef à l’exploitation du domaine, en compte courant avec le Trésor. La mise en défense et la défense de sa circonscription lui incombaient : c’était lui qui convoquait les hommes du roi et qui dirigeait, dans son ressort, les opérations militaires. Enfin, il était l’intermédiaire entre le roi et les grands seigneurs du voisinage : les seigneuries vassales étaient ainsi rattachées, en quelque sorte, aux bailliages ou sénéchaussées limitrophes : par exemple, le comté de Foix ressortissait à la sénéchaussée de Carcassonne ; le Vivarais, le Velai et la baronnie de Montpellier à la sénéchaussée de Beaucaire ; les baillis de Tours et de Cotentin s’occupaient des affaires de Bretagne.
Louis IX a publié, à partir de 1254, de grandes ordonnances pour la réformation des excès dont les baillis et les sénéchaux se rendaient coupables. Rédigées pour remédier à des abus particuliers et constatés par enquête, ces ordonnances ne sont pas des règlements systématiques d’administration ; on y voit assez bien, pourtant, comment l’idéal du bailli était conçu au milieu du XIIIe siècle.
Il est prescrit, dans l’ordonnance de 1254, que les sénéchaux et les baillis jureront de faire droit à chacun, pauvre et riche, et de maintenir les coutumes locales, les droits du roi et ceux d’autrui ; ils s’engageront, par serment, à ne recevoir de leurs subordonnés et de leurs administrés ni prêts, ni présents, ni pensions, et à n’en pas faire, de leur côté, aux gens de la cour du roi ; ils ne prendront rien pour l’adjudication des fermes (prévôtés, bailies, eaux et forêts, monnaies).
Ces serments, ils les prêteront d’une manière solennelle, « en pleine place, devant tous clercs et laïcs, afin qu’ils redoutent d’encourir le vice de parjure, non pas seulement pour la peur de Dieu et de nous, mais pour la honte du peuple ». Recommandation est faite, en outre, aux sénéchaux et aux baillis de ne pas « dire paroles qui tournent en dépit de Dieu, de Notre-Dame et des saints », et « de se garder du jeu de dés, de mauvais lieux et de tavernes ». Il leur est défendu d’acheter directement, ou par personnes interposées, des biens dans leurs ressorts, et d’y établir leur famille, par mariage ou autrement, sans permission spéciale.
Les commissaires de la cour dans les provinces
Les baillis et les sénéchaux, chefs de la hiérarchie administrative dans les provinces, dépendaient de la « cour du roi ». Ils s’y rendaient souvent. De la cour, où ils prenaient langue à chaque voyage, ils recevaient des instructions détaillées pour les affaires graves. Ils en demandaient parfois, spontanément, lorsqu’ils étaient embarrassés.
Des membres ou des agents de la cour du roi étaient souvent délégués dans les bailliages et dans les sénéchaussées. Lorsqu’ils se présentaient, les baillis leur cédaient le pas. On a vu plus haut que les plus anciens « baillis » avaient été, au XIIe siècle, des commissaires itinérants de la Curia ; sédentaires au XIIIe siècle, les baillis étaient soumis, à leur tour, aux représentants en tournée du gouvernement central.
Il faut distinguer au XIIIe siècle, parmi les délégués de la cour du roi en mission temporaire, ceux qui faisaient partie de délégations périodiques, ceux qui étaient envoyés en mission spéciale, pour un objet déterminé, dans telle ou telle région, ceux qui avaient des pouvoirs généraux dans l’étendue d’une ou de plusieurs circonscriptions.
La cour du roi envoyait périodiquement des délégations, pour, par exemple, les termes accoutumés, en Normandie des Échiquiers, en Champagne des Grands Jours. Les dunes de Normandie avaient tenu jadis des « Échiquiers » ; les comtes de Champagne, des « Grands Jours » ; c’étaient des assises solennelles, analogues aux parlements et aux sessions du Temple, où les gens de ces grands feudataires vérifiaient les comptes des comptables et rendaient la justice. La réunion de la Normandie et de la Champagne au domaine royal n’en entraîna pas la disparition ; des gens du roi furent simplement substitués à ceux des grands feudataires. Aux Échiquiers et aux Grands Jours, les comptes de Normandie et de Champagne étaient examinés en première instance avant d’être rapportés au Temple, et les causes de Normandie et de Champagne étaient entendues et jugées.
Les délégations de l’Échiquier et des Grands Jours, dont les membres étaient désignés pour chaque session, ressemblaient ainsi à des chambres ambulatoires des grandes commissions centrales. Les justiciables des sénéchaussées du Midi, si éloignés de la cour centrale, auraient eu plus d’intérêt encore que les Normands et les Champenois à ce qu’un pareil système de délégations périodiques fonctionnât dans leur pays. Ils l’ont quelque temps obtenu. Après la réunion des domaines d’Alfonse de Poitiers, les causes du Languedoc ont été jugées, pendant plusieurs années (de 1278 à 1280 et de 1287 à 1291) à Toulouse, par des commissions ou « parlements » issus de la Curia regis.
D’autre part, la cour du roi désignait souvent des commissaires pour régler, sur les lieux, des affaires déterminées, soit judiciaires, soit financières, soit politiques. Ainsi Louis IX envoya Jean de Verlhac, en 1255, dans le pays de Carcassonne pour trancher un différend entre le sénéchal et le comte de Foix ; en 1269, Arnoul de Courferrant, chevalier, et maître Raimond Marc, vinrent en Languedoc pour traiter avec les bonnes villes de la levée d’un fouage. Ce système de délégations, en pleine vigueur au temps de Louis IX, fut encore développé sous les derniers Capétiens directs.
Les derniers Capétiens directs ont souvent renvoyé à des personnes de leur entourage, expédiées en mission, la connaissance de causes difficiles. Ils ont fait lever leurs finances extraordinaires par des collecteurs spéciaux : prêts, dons, nouveaux acquêts, usures, forfaitures, mainmortes, amendes, etc. Pour débattre l’octroi de subsides avec les synodes ecclésiastiques et les assemblées de nobles et de bourgeois, pour émouvoir l’opinion publique et faire plébisciter leur politique, Philippe le Bel et ses fils se sont toujours fiés davantage à leurs clercs et à leurs chevaliers familiers qu’à leurs représentants sédentaires dans les sénéchaussées et les bailliages.
Nous avons vu des gens du roi se répandre dans toute la France pour recueillir des adhésions au futur concile contre Boniface, pour saisir les biens des Juifs, pour négocier des impositions, pour obtenir la dissolution des Ligues de 1314. C’est par milliers que se comptent les commissions de tout genre qui ont été délivrées sous Philippe le Bel et ses fils. On en délivrait même tant que l’on finissait par s’y perdre. Les derniers Capétiens directs ont pris plusieurs fois le parti de les révoquer toutes en bloc.
Conclusion
Les institutions monarchiques du XIIIe siècle révèlent une complexité administrative et une dynamique de pouvoir qui ont façonné le royaume de France. Les baillis et les sénéchaux, en tant que représentants du roi, ont joué un rôle crucial dans la gestion des provinces, tout en étant soumis à la cour du roi, qui exerçait une influence directe sur les affaires locales. La tension entre l’autorité centrale et les fonctionnaires locaux, ainsi que les abus de pouvoir, ont également marqué cette période.
Questions-Réponses
Quel était le rôle des baillis dans le royaume de France au XIIIe siècle ?
Les baillis représentaient le roi dans leur circonscription, dirigeant tous les services sous l’autorité de la cour du roi, et exerçaient des fonctions de justice, de police et de finances.
Comment le Domaine royal a-t-il évolué entre 1226 et 1328 ?
Le Domaine royal a connu une expansion significative grâce à des acquisitions territoriales, notamment des comtés et seigneuries, tout en faisant face à des apanages temporaires attribués aux membres de la famille royale.
Quelle était la fonction des commissaires envoyés par la cour du roi ?
Les commissaires étaient chargés de régler des affaires spécifiques, qu’elles soient judiciaires, financières ou politiques, et ils avaient souvent des pouvoirs généraux dans une ou plusieurs circonscriptions.