Composée de volontaires, de sans-culottes, d’anciens soldats, et de tout ce qui pouvait combattre, l’armée française de la révolution réussie l’exploit de contenir et de vaincre les menaces extérieures qui planaient sur la France.
D’abord en piteux état, ces soldats allaient devenir les meilleurs d’Europe, annonçant les futurs succès du Premier Empire.
Sommaire
- L’armée royale
- La garde nationale et sans-culottes
- Les volontaires
- La réquisition forcée
- La levée en masse
- De sans-culottes à l’armée nationale
- L’habillement
- La Victoire
- Une parade militaire de sans-culottes à Mannheim, Octobre 1795
« C’est à l’armée, écrit en 1791 le général Dommartin, qu’est la place de tous les gens de bien ». — « Ce temps-là, ajoute-t-il plus tard, était une période d’abnégation : l’ambition était satisfaite quand on se battait pour faire triompher la patrie de ses ennemis et pour mériter à la France le titre de grande nation ».
L’armée de la Révolution a eu des origines diverses; de toutes ces origines, dont il faut rapidement parler, est née cette armée nationale française qui portera ses drapeaux sur l’Europe entière et donnera à notre pays une gloire militaire ineffaçable.
L’armée royale
Lorsqu’éclatent les premiers troubles de 1789, la France possède une armée royale de soldats de métier, tous volontaires, solides et aptes au combat. La discipline et l’instruction sont excellentes; la classe des bas-officiers est remarquable.
Les officiers, pris principalement dans la noblesse de province, assez pauvre, sont aptes à remplir leurs fonctions. Tout ceci résulte surtout du choix sévère qui a présidé au recrutement et à la formation militaire, après les désastres de la guerre de Sept ans.
En outre, la guerre de l’indépendance américaine, tout en exaltant les idées de liberté et d’égalité, a renforcé le sentiment du devoir des cadres subalternes et leur ambition d’obtenir plus facilement et sans distinction de classe, l’épaulette d’officier.
Lors des premiers soulèvements, beaucoup d’officiers sont malmenés, chassés, bien souvent forcés d’émigrer. Quelques corps se mettent même en insurrection. Toutefois, dans l’ensemble, l’arme reste digne et prête à courir aux frontières. Malgré les gages donnés aux idées nouvelles, le vieux soldat, « l’habit blanc », l’ancien homme de métier, demeurera suspect et souvent en butte aux diatribes et aux attaques des jacobins.
La garde nationale et sans-culottes
Dès juillet 1789, il s’est formé, d’abord à Paris, puis dans les principales villes de France et même dans les plus petits bourgs, des gardes nationales ou bourgeoises, chargées du maintien de l’ordre public. Ces « soldats citoyens » reçoivent un bon armement, un uniforme, élisent leurs cadres.
Leur rôle devient vite prépondérant; formée à l’origine de citoyens honorables, la garde nationale tourne rapidement à la faction politique, est mêlée à tous les mouvements de rue, aux émeutes et mêmes aux massacres. Les pimpants uniformes bleu, blanc et rouge sont devenus des carmagnoles, les culottes blanches des pantalons rayés (d’où le nom de sans culottes), le tricorne est remplacé par le bonnet rouge dit phrygien. Dès 1793, cette troupe est réduite à quelques mercenaires armés de piques.
Les volontaires
Cependant, de cette garde nationale sortent en grande partie, en juillet 1791, les volontaires nationaux de première levée, au nombre de 100 000, destinés à grossir les cadres de l’infanterie de ligne, qui ne compte alors que 125 000 hommes, insuffisants pour la défense des frontières menacées.
Ces premiers volontaires sont suivis par une foule de bataillons de la garde nationale mobilisée; 169 d’abord, puis 200 en 1792. Mais ils ne servent que durant un an. Le soin de les équiper et de les armer est abandonné aux administrations départementales; aussi laissent-ils beaucoup à désirer sous ce rapport.
Ces soldats sont, pour la plupart, sans instruction militaire, mais pleins de bonne volonté; parmi eux se trouvent d’anciens combattants de la guerre d’Amérique. Les cadres, nommés à l’élection, sont généralement choisis avec discernement et composés d’anciens militaires. Beaucoup des généraux du Premier Empire, et même des maréchaux, sortiront de ces bataillons de volontaires de 1791 (Lannes, Suchet, Brune, Mortier, Gouvion-Saint-Cyr).
Les atermoiements des Alliés, les instructions et les exemples donnés par d’excellents généraux, tels Dumouriez et Kellermann, anciens maréchaux de camp du roi, donnent à ces jeunes troupes le temps de se former et de s’instruire. Au milieu de l’indiscipline générale, ces volontaires, mal commandés et travaillés en sous-main, se distinguent parfois par leur esprit d’obéissance.
Souvent aussi, ils se dispersent au premier coup de canon. Mais, conduits par des chefs capables et éprouvés, qui les comprennent et les mènent eux-mêmes au combat, ils font preuve d’un enthousiasme, d’un bon vouloir et d’un courage certains (victoires de Valmy et de Jemmapes, prise de Worms, de Mayence et de Francfort, sous Dumouriez, Kellermann, Custine, Biron, Beurnonville).
La réquisition forcée
Malheureusement, au bout d’un an, les volontaires quittent l’armée : ils sont, en effet, capables d’un effort énergique et momentané, mais leur ardeur combative n’est souvent qu’un feu de paille, qui s’éteint rapidement.
Il faut alors suppléer aux bataillons de 1791 par de nouveaux contingents qui ne s’organisent pas de la même façon. La patrie est proclamée en danger, mais les engagements restent peu nombreux. L’armée est là pour défendre le citoyen, pensent les civils. On ne parvient pas à lever les 60 bataillons nécessaires et les anciens ne sont pas complétés.
Alors apparaît la réquisition forcée. Le contingent de chaque département est fixé, et les généraux reçoivent le droit de requérir les compagnies d’élite de la garde nationale sédentaire. On organise ainsi des bataillons de « fédérés » avec des hommes de tous les départements, venus à Paris pour la fête de la Fédération. On envoie aussi à l’armée les fauteurs de désordre et les émeutiers professionnels, qui sont devenus les fléaux des villes.
On forme un camp à Soissons, commandé par le général Decoux (source à affiner), qui écrit en août 1792 :
« 600 hommes viennent de me dire : Nous ne voulons pas camper; nous ne voulons pas de riz; nous ne voulons pas de pain de munition; nous voulons 20 sous par jour, ou nous ne servirons pas! »
Général Decoux
Les résultats de la réquisition volontaire ne sont pas meilleurs. En Vendée, le général Berruyer écrit, en avril 1793, après le combat de Chemillé :
« Au premier moment de l’attaque, j’ai eu la douleur de voir la plupart des volontaires s’enfuir lâchement. Il est dur, pour un vieux militaire, de commander à de tels soldats. »
Général Berruyer
Au débarquement en Sardaigne, en janvier 1793, les volontaires des Bouches-du-Rhône se sauvent en jetant leurs fusils, leurs gibernes et même leurs habits, en criant : « Trahison! On tire sur nous avec des balles! »
C’est la grande période des revers : les généraux qui ont servi sous l’ancien régime ont été sacrifiés aux méthodes révolutionnaires et remplacés souvent par des incompétents qui ont donné des gages à la Révolution.
Ainsi en Vendée, on cite Léchelle, dont Kléber dit que c’est le plus lâche des soldats et le plus ignorant des chefs, ne sachant pas lire la carte et à peine signer son nom. Son plan de bataille sera le suivant : « Il faut marcher en ordre, majestueusement et en masse ».
Carlenc, commandant l’armée du Rhin, aura pour seule tactique : placer les troupes de son armée d’après leur rang de bataille, le 1er régiment de ligne à Huningue, le 100e à Wissembourg.
Dièche, commandant à Strasbourg, est souvent ivre et fait, à propos de rien, braquer des canons dans les rues de la place. « Je ne sais pas les « matiques », dit un général de brigade, mais je flanquerai bien un coup de sabre ».
Le vieux Houchard, couturé de blessures, vainqueur à Hondschoote, mis en prison pour « non-sans-culottisme », écrit à ce sujet, en octobre 1793 : « Le soldat ne sait plus quoi penser : d’un côté, on lui fait entendre que ceux qui le commandent sont des traîtres ; d’un autre côté, on lui donne des généraux en qui il n’a pas confiance. Tout cela ne peut conduire qu’à des revers, tandis que nous devrions avoir des succès par le grand nombre des défenseurs que
nous avons de toutes parts. »
C’est l’époque où nous perdons la Belgique et le nord de l’Alsace; nos places du Nord tombent ou sont assiégées, l’armée des Pyrénées Orientales abandonne Collioure, Villefranche et Bellegarde, les troupes opposées aux Vendéens sont défaites à chaque rencontre par les paysans.
La levée en masse
Le remède à cette désastreuse situation naît de l’ampleur même du mal. La Convention et le comité de salut public, pris dans son sein, sauvent la France à force d’énergie. Les commissaires aux armées, qui ont d’abord prêché l’insubordination et ont destitué des généraux à tort et à travers pour les remplacer par de « vrais sans-culottes », reçoivent des ordres stricts de rétablir la discipline par une rigueur inflexible. Les généraux incapables sont mis à l’écart et, à leur place, sont nommés des chefs compétents, tels Hoche, Pichegru, Moreau, Jourdan, Kléber, Marceau, dont plusieurs pourtant, sortent du rang.
Enfin, la réorganisation de l’armée sur des bases saines est confiée à Lazare Carnot, ancien capitaine du Génie royal, dont le rôle sera prépondérant; compétent, énergique, il rétablit la discipline et le commandement par de sages mesures. Il coordonne aussi le mouvement des différentes armées de la République et les mène ainsi, par un plan général d’offensive, vers la victoire.
Les places du Nord sont délivrées, la bataille de Wattignies est gagnée, Wissembourg et le nord de l’Alsace sont libérés, Toulon est repris aux Anglais, les Vendéens sont battus par les soldats de
Kléber.
De sans-culottes à l’armée nationale
Que devient le soldat dans cette conjoncture? Le réquisitionnaire, le fédéré s’est montré mauvais combattant, plus apte au pillage et à la rapine qu’au combat. La Convention, sur l’avis de Carnot, décide la levée en masse, c’est-à-dire l’appel de tous les citoyens en état de servir. C’est alors la concentration des forces vives de la nation. Il n’y a plus d’arbitraire, plus de privilèges, tous sont égaux devant les armes.
L’armée va devenir le refuge des gens instruits et bien intentionnés. Carnot a compris que des milliers de soldats, groupés sous le commandement de chefs ignorant les notions les plus élémentaires de l’art militaire, ne peuvent rien donner de bon, malgré leur nombre.
Aussi les jeunes gens de la levée en masse sont-ils incorporés dans les premiers bataillons de volontaires, et ceux-ci amalgamés aux vieux régiments de ligne, débris de l’armée royale.
Cet « amalgame », qui donnera à la France son armée nationale, est effectué dans l’hiver de 1793 à 1794; les anciens régiments deviennent des demi-brigades : 157 de bataille, 14 légères avec des bataillons isolés. Cette organisation va enfin permettre au soldat de la République de montrer sa valeur, elle va en faire un combattant énergique, discipliné, courageux, bien encadré, respectueux de l’adversaire et ayant, au plus haut point, le sens de l’honneur militaire.
L’habillement
L’arrière ne fournit guère de vêtements convenables; si le soldat est relativement bien armé, son habillement devient vite déplorable. Un Allemand a pu faire la description suivante :
« Les soldats, sauf les cavaliers, sont couverts de haillons ou portent les costumes des paysans des contrées qu’ils ont traversées; on les voit revêtus de blouses, de pelisses de peau de mouton ou de peaux de bêtes sauvages ; d’autres sont affublés de la plus singulière façon et portent de longues bandes de lard, des jambons, des morceaux de viande à leur ceinture. Quelques-uns marchent pieds nus, autres portent des chaussures. primitives et misérables. »
Malgré les souffrances occasionnées par de tels accoutrements, qui ne les garantissent ni du froid ni des intempéries, les soldats ont un moral excellent; leur humeur est toujours égale : « Les Français, écrit Goethe, arrivaient et ne semblaient apporter que l’amitié et, réellement, ils l’apportaient; ils avaient tous l’âme exaltée, ils plantaient allègrement les arbres de la Liberté. Ils gagnaient bientôt, ces Français prépondérants, d’abord l’esprit des hommes par leur ardente et vaillante entreprise, puis le cœur des femmes par leur irrésistible aménité. Le poids même de la guerre et toutes ses exigences nous paraissaient légers et l’espérance flottait devant nos yeux autour de l’avenir.»
La victoire
Ce sont ces soldats qui marcheront de succès en succès : reprise, en 1794, de Condé, Le Quesnoy, Valenciennes, victoires de Tourcoing et de Fleurus, reconquête de la Belgique, reprise de l’Alsace, blocus de Mayence, reprise de Collioure, de Bellegarde, prise de Saint-Sébastien, avance en Navarre, victoires du Mans et de Savenay sur les Vendéens.
L’année 1795 voit la conquête de la Hollande et la prise de la marine hollandaise par les hussards de Pichegru; la conquête du pays de Trêves, la victoire de Loano, les traités de Bâle qui éliminent la Prusse et l’Espagne.
Enfin, en 1796, ce sont les victoires triomphales de Bonaparte en Italie : Montenotte, Millesimo, Mondovi, la conquête de la Lombardie, Lonato, Castiglione, Roveredo, la Brenta, Caldiero, Arcole et son jeune tambour, Rivoli, la Favorite. Moreau, en Allemagne, pousse ses avant-postes sur la route de Vienne.
L’historien Albert Sorel a montré, en quelques lignes, la mentalité de ces combattants; citons, pour terminer, ce passage :
« Nulle avidité, nul mépris des faibles, des pauvres, des désarmés, mais le sentiment expansif de la délivrance qu’on porte avec soi. Ces armées semblaient se lever dans l’aurore d’un beau jour. Leur allure avait je ne sais quoi d’allègre et d’exalté qui les faisait avancer sans souci des épreuves et sans tentation.
Les peuples les voyaient avec étonnement déguenillées, hâves, amaigries, mais fières, gaies, martiales et disciplinées. Les étrangers s’inclinaient devant quelque chose d’inattendu et d’auguste qu’ils devinaient en ces troupes, et les soldats gagnaient les cœurs de leurs hôtes dont ils partageaient la misère. »
Une parade militaire de sans-culottes à Mannheim, Octobre 1795
On peut s’étonner de voir, à Ja fin de 1795, des tenues délabrées, ressemblant plutôt à de pittoresques haillons… Mais, en campagne, avec des soldats aussi improvisés que ceux qui formèrent les armées de cette époque, tout s’use vite.
Au moment des grandes levées d’hommes, une circulaire ministérielle avait même recommandé aux recrues de se pourvoir, avant de rejoindre leurs corps, d’une veste ou carmagnole de drap bleu ou brun et d’une culotte garnie de peau entre les jambes. La précaution était bonne car, notamment dans l’infanterie, nombreux étaient les nouveaux enrôlés qui ne recevaient rien d’autre que leur armement, pendant de longs mois…
FAQ
La réorganisation de l’armée sur des bases saines est confiée à Lazare Carnot, ancien capitaine du Génie royal, dont le rôle sera prépondérant; compétent, énergique, il rétablit la discipline et le commandement par de sages mesures. Il coordonne aussi le mouvement des différentes armées de la République et les mène ainsi, par un plan général d’offensive, vers la victoire.
Les pimpants uniformes bleu, blanc et rouge sont devenus des carmagnoles, les culottes blanches des pantalons rayés (d’où le nom de sans culottes)
La réquisition forcée est la phase d’enrôlement des émeutiers, brigands et des troupes sédentaires de la Garde nationale pour combler le manque d’effectif
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