La chute de la IIIème République est une conséquence de suites d’évènements et non une fatalité en soit. Cette chute aurait pu être évitée. Nous savons aujourd’hui que la Campagne de France n’est pas qu’une succession d’échecs, et un bref regard sur certains combats pourrait permettre de relativiser le rôle décisif qu’on leur tient.
Sommaire
La « défaite de 40 » constitue l’un des plus grands (sinon le plus grand) traumatisme national contemporain, tout semble déjà avoir été dit sur le sujet et pourtant les zones d’ombres restent nombreuses. L’incompréhension est toujours là.
Une énième réédition des défaillances de l’armée française et de leurs conséquences sur le terrain que l’on connaît aujourd’hui n’a pas lieu d’être, sinon pour s’enliser dans le détail et revenir au point de départ.
Demandons nous plutôt pourquoi ces défaillances n’ont pas pu être anticipées ni corrigées, alors que deux décennies plus tôt, cette même armée a su s’adapter si remarquablement au conflit en cours qu’elle figurait en première place à la table des vainqueurs.
Si les 2 guerres mondiales sont de natures fondamentalement différentes, je considère qu’il est impératif de nous attarder un peu sur la 1ère Guerre mondiale pour mieux comprendre la 2ème Guerre mondiale.
Contexte de la chute de la IIIème république
Les schémas initiaux sont les mêmes dans les 2 cas: les forces françaises – et alliées- mal préparées et répondant à des doctrines ineptes vont devoir faire face à un ennemi supérieur tactiquement, matériellement et numériquement ( notamment en termes de troupes de relève).
La position de la Russie ne change pas grand – chose à la donne ; même après Tannenberg, il y a en 1914 moins de 500 000 allemands à l’Est, ce qui ne représente qu’une faible portion de ce que l’Allemagne peu mobiliser. De plus, elle peut compter sur l’aide non-négligeable de l’Autriche-Hongrie sur ce front.
A ce titre, la résistance belge gène la progression allemande de manière beaucoup plus perceptible lors des toutes premières semaines de la guerre. Il n’y a qu’un seul facteur qui sera vraiment déterminant à la survie de l’armée française au premier mois de la guerre, puis jusqu’à la victoire.
Il est à ce niveau intéressant de noter que ce mois représente une étape cruciale qui sera fatale lors des guerres de 1870 et 1940, pour des raisons pas toujours distinctes malgré les 70 ans qui les séparent.
A moins de 50 km de Paris, une multitude d’affrontements plus ou moins linéaires dont l’issue est rarement favorables aux français va cependant ébranler le dispositif ennemi ; une brèche se forme, et l’ennemi est obligé de refluer de crainte qu’elle ne soit exploitée. Pourtant, le commandement ne comporte pas plus de grands stratèges ni de fins tacticiens en 1914 qu’en 1940.
Il est cependant résolu à vaincre et a froidement analysé l’évolution des combats jusqu’à ce que se présente une opportunité de reprendre l’avantage. Aux moments les plus délicats, des officiers aux relations d’ordinaire ambigus (à l’exemple de Joffre et Gallieni) vont laisser leur orgueil de coté et oeuvrer ensemble dans la recherche commune de la victoire.
Cette « entente de circonstance » s’est traduite pour les combattants par l’arrêt soudain des ordres confus et contradictoires au profit d’objectifs plus clairs. L’idée que de remplir ces objectifs mettra au moins un terme à la supériorité effective ennemi couplée à une relative confiance retrouvée en leurs chefs a renouvelée leur entrain le temps d’un combat, favorisant par ailleurs à cette fin le déploiement de nouveaux moyens comme l’artillerie (en l’absence de lignes cohérentes, elle n’a put être utilisée au meilleur de son efficacité jusque là) où une composante logistique plus fluide.
Mais la victoire à venir – la Marne – doit surtout aux autorités civiles françaises. L’orientation politique à cette époque et particulièrement dans ce contexte est stimulée par le rétablissement du prestige et de la souveraineté (et accessoirement l’Alsace-Lorraine) perdu lors de la guerre précédente.
C’est bien la détermination et l’union des hautes sphères politiques du pays qui va, après avoir sanctuarisé les acquis de la Marne, satelliser autour de la nation toutes les volontés, les ressources et les moyens nécessaire au redressement qui doit la porter jusqu’à la victoire. Et qu’importe ce qu’il faudra traverser jusque là.
Cette fédération de toutes les branches constituant une société est une représentation contemporaine du concept de « nation en armes », et l’Etat devient un « bloc » à même d’accompagner son armée dans les immenses réformes qu’elle devra subir pour correspondre à un conflit moderne, accroissant par là même sa capacité de résilience.
Le ressenti collectif est que la classe dirigeante considère que mener le combat est une priorité absolue, qu’elle ne reculera devant rien, et c’est l’état d’esprit de millions de personnes qui se retrouve conditionné par la perspective de la victoire recherchée quel qu’en soit le prix.
Cela ne signifie pas que la population est concrètement favorable à la guerre. Elle l’appréhende plutôt comme une crise dont elle ne peut plus se soustraire qui touche tout ce qu’elle tient pour horizon, et la résolution des instances supérieures à en sortir va la mener à la réflexion que les souffrances sont à présent inévitables pour y mettre fin.
Cette sorte de résignation générale est l’un des socles essentiels sur lequel une nation comme la France va pouvoir faire durer la guerre à défaut de pouvoir la gagner rapidement.
Les causes la chute de la IIIème république
Mais l’instabilité gouvernementale et la politique de l’autruche qui caractérisent l’entre-deux guerres perdront définitivement cet aspect psychologique déterminant. C’est l’absence de ce paramètre propre à susciter une implication nationale dans l’effort de guerre qui aura le plus de poids dans le déroulement et la conclusion des opérations de l’été 1940, bien plus que la supériorité aérienne allemande, l’incompétence du commandement français ou encore le mauvais emploi de l’arme blindée.
Si ces trois éléments sont bien sûr indissociables de la débâcle, il sont aussi devenus des raccourcis courant pour tenter de l’expliquer. Nous savons pourtant aujourd’hui que la Campagne de France n’est pas qu’une succession d’échecs, et un bref regard sur certains combats pourrait permettre de relativiser le rôle décisif qu’on leur tient.
Quelques succès mitigés
A Hannut et à Gembloux, l’aviation allemande ne parviendra pas à stopper la progression des blindés français ni à les empêcher de remplir la mission qu’on leur a assigné.
Quelque part dans l’Aisne, une division d’infanterie française et une poignée de chars parviennent à tenir leurs positions contre un ennemi supérieur en nombre et en moyen en appliquant efficacement (et parce que la situation s’y prêtait) les instructions d’avant-guerre ; le char en soutien, le soldat en première ligne. Ni la présence d’une Panzerdivision ni l’intervention de l’aviation ne changeront le cours des combats.
A Stonne, Montcornet et dans les Alpes, le commandement français local prouve qu’il sait composer avec les lacunes de ses troupes tant que l’Etat-Major lui laisse l’initiative – ou quand il refuse de lui obéir. Encore une fois, le tandem char/avion ne permet pas le succès ou le déblocage rapide de la situation.
A de multiples reprises, on verra même les soldats expérimenter de nouvelles méthodes tantôt absurdes tantôt novatrices pour compenser le manque dramatique d’armes anti-chars et anti-aériennes : des panzers sont arrêtés par de simples barres de fer et des attaques de nuits couronnées de succès sont organisées. C’est une caractéristique d’une armée qui conserve sa volonté de vaincre.
Au même titre que les près d’un millions de combattants enfermés en Belgique après la percée allemande qui ne se rendent en masses qu’après la proclamation de l’Armistice.
Il faut aussi tenir compte du fait que des combats retardateurs voire de francs coup d’arrêt sont régulièrement infligés à l’ennemi un peu partout sur le front. Mais le haut-commandement préfère systématiquement mettre le temps gagné à profit pour reculer sur une nouvelle ligne imaginaire plutôt que de coordonner toutes ces actions et tenter d’établir une défense cohérente, laissant aux allemands le temps de se ressaisir et, par leur plus grande mobilité, rattraper leurs adversaires encore en retraite.
L’armée française lors de la IIIème république
C’est à travers cette réticence à toute prise de risque qu’on peut distinguer les 2 facteurs qui vont réellement sceller le sort de l’armée française.
Le premier est le défaitisme prématuré des hauts-gradés. Lorsque ceux-ci réalisent que la puissance d’arrêt et les ingrédients qui ont fait la réussite d’hier sont complètement dépassés par le potentiel motorisé, ils chercheront dans l’immédiat à préserver leurs armées plutôt que de s’appuyer sur leurs qualités combattantes et tenter d’établir une stratégie alternative.
Si la « défense en profondeur » instituée par Weygand a donnée de bons résultats là ou pouvait être mise en oeuvre, on a considéré qu’il été déjà bien trop tard pour envisager de continuer le combat parce qu’on s’était fixé pour objectif de ne surtout pas le laisser se dérouler sur le territoire. Cette défection morale aura des conséquences dramatiques.
Mais ce défaitisme au sommet est alimentée par des gageures accumulées très en amont du conflit dont les « coupables désignés » comme Weygand, Gamelin, Georges et même Huntziger ont pleinement conscience. N’oublions pas qu’ils ont eu de longues carrières, ont connus des moments de succès et qu’il est injuste de les tenir pour seuls responsables d’une défaite qu’un contexte globale à rendu inévitable.
L’affaire prends racine au traité de Versailles. Celui constitue une sortie ratée pour la France, qui ne parvient pas à accorder ses intérêts avec ceux de ses alliés et va peu à peu se cloîtrer dans l’isolationnisme. Le fin de la guerre marque aussi celle de l’Union Sacré, et les rivalités politiques vont reprendre leurs cours. Les gouvernements se succèdent (pas moins 6 en l’espace de 20 ans) et leur orientation très différente ne permet pas de définir une politique intérieure et extérieure claire ni d’adopter une quelconque posture envers l’Allemagne et l’URSS (rappelons que celle-ci est alors tenue l’ennemie commune des grandes puissances), or ces données sont essentielles pour élaborer un plan de défense ou bâtir une armée apte à répondre aux impératifs d’un conflit moderne.
Le glissement stratégique de la Ligne Maginot illustre parfaitement cet état des choses. Sa triple vocation initiale, à savoir fournir un appui feu protégé aux frontières, protéger la mobilisation et inciter les allemands à la contourner par la Belgique afin de précipiter l’entrée en guerre de l’Angleterre -garante de cette dernière- aux côtés de la France laisse place à un rôle symbole d’inviolabilité nationale.
De plus, l’armée française jouie d’un tel prestige que certains dignitaires de l’après-guerre l’ont rapidement considérée comme encombrante. S’en suit sa désolidarisation progressive de la raison d’état, et elle finira par se retrouver en 40 privée de tous les soutiens intérieurs dont elle bénéficiait en 14. S’il n’y avait qu’une seule leçon à retenir de la première guerre mondiale, c’est qu’une armée ne peut plus porter le poids d’une guerre à elle seule.
Le tournant définitif de cette régression générale de la situation défensive survient avec l’arrivée au pouvoir du Front Populaire, au lendemain du Coup d’Etat de 1934. Trop soucieux d’apaiser les inquiétudes de la population, il se livre a une ingérence si excessive de l’institution militaire qu’il dénature ses propres décisions.
Les importants crédits alloués à l’armée se révèlent destinés à entretenir l’image d’une nation inviolable plutôt qu’au développement de matériel moderne, dont les prototypes ne cessent pourtant de sortir des bureaux d’études. Les officiers d’etat-major sont sélectionnés pour leur placidité et leur détachement politique.
Mais l’armée est prête pour parader le 14 Juillet. On en a fait une impressionnante version étoffée et améliorée de 1918, parce que cela suffit à donner au peuple la certitude qu’on n’osera se frotter à un tel étalage de puissance.
Parallèlement, on assure qu’aucune guerre ne se profile à l’horizon, qu’il y a même des signes d’espoir et de paix partout : dans le rapprochement germano-soviétique, dans les discours complaisant du nouveau Chancelier, dans les marches fraternelles organisées en Sarre, dans les astres, le marc de café… Au même titre que les réformes matérielles et stratégiques, le nécéssaire ralliement du monde civil au conflit à venir est gâché par les divisions, le carriérisme et l’acharnement à repousser l’inévitable qui gangrènent le pouvoir en place.
On ne tient pas compte non plus des avertissements qui dérangent : l’Allemagne prépare l’invasion de la Pologne, l’URSS lui met à disposition des écoles de formation blindé et les exercices d’unités motorisés menés en 1937 dans les Ardennes démontrent qu’elles ne sont pas infranchissables.
Les meilleurs soldats ni les meilleurs chefs de guerre au monde ne pourraient espérer vaincre dans de telles conditions, et il n’existe pas en 1940 d’hommes forts capables de redonner sa cohérence non seulement au gouvernement mais à l’ensemble de l’administration nationale. Car ça reste bien la déliquescence rapide des autorités de l’état qui consacre la défaite, l’armée ne pouvant alors que sauver les meubles et limiter la casse. Je tiens à rajouter à ce tableau deux points qui ne sont curieusement jamais évoqués.
Conclusion de la chute de la IIIème république
La guerre est officiellement déclarée en septembre 1939 alors que la Campagne de France ne débute qu’en mai l’année suivante. Pendant les 9 mois d’intervalles, près de 3 millions de soldats français et alliés seront mobilisés dans l’attente d’une confrontation présentée chaque jour comme imminente mais celle-ci ne semble jamais survenir. Le sentiment d’urgence des premiers jours laisse peu à peu place à une stagnation moribonde.
Sur le terrain, les officiers ne parviennent plus à se faire obéir ou ont perdu toute crédibilités parce qu’on pense, une ultime fois, qu’une attaque allemande n’est qu’un fantasme exalté.
Dans le même temps, la difficile Campagne de Pologne permet de mettre en lumière les erreurs de jeunesse de la toute nouvelle armée allemande, de roder ses unités, de familiariser les hommes avec leurs matériels, mais aussi d’aligner le tissu industriel allemands avec les besoins des combats à venir.
Les armées alliés en seront encore à cette phase lorsque ces combats débuteront. Jusqu’au 10 mai fatidique, l’Allemagne procède à des retours d’expériences pour améliorer la qualité de ses troupes et corriger les défauts révélés en Pologne.
Ainsi, c’est une Wehrmacht au faîte de son efficacité qui envahit la France qui elle est pourvu d’une armée qui n’a pas l’expérience d’un conflit moderne. Mais elle s’apprête à écrire l’une des pages les glorieuses de notre histoire militaire.
Auteur : Christophe Logel
FAQ
Maurice Gustave Gamelin
La campagne de Pologne
Trop soucieux d’apaiser les inquiétudes de la population, il se livre a une ingérence si excessive de l’institution militaire qu’il dénature ses propres décisions.
Les importants crédits alloués à l’armée se révèlent destinés à entretenir l’image d’une nation inviolable plutôt qu’au développement de matériel moderne, dont les prototypes ne cessent pourtant de sortir des bureaux d’études.
Dossier Seconde Guerre mondiale
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